Qui a envie de se faire bouffer par des gros chats trop mignons ?
On ne gagne pas le titre de « film le plus dangereux de toute l’histoire » ou « film le plus sanglant du monde » sans raison. Roar est l’exemple le plus criant d’un tournage catastrophique. 42 ans après sa sortie, le film n’a rien perdu de son caractère traumatisant. Un nanar fascinant qui garde aujourd’hui encore son aura. On vous raconte ici l’histoire de ce tournage peu banal avec des acteurs et des lions pas du tout acteurs.
En 1969, alors qu’elle tourne au Zimbabwe, l’actrice Tippi Hedren (Les Oiseaux d’Hitchcock) tombe par hasard sur un vieux ranch abandonné au milieu d’un parc national près duquel vivent en liberté des dizaines de lions, tigres et autres félins. Son mari Noel Marshall, producteur de cinéma, la rejoint et tombe également amoureux du lieu. Ils décident de rentrer en Amérique pour écrire le scénario d’un film qui se déroulerait dans un ranch similaire au milieu des bêtes sauvage, un rêve pour les deux tourtereaux, une grosse connerie inconsciente pour le reste de la population.
De retour aux États-Unis, Noel Marshall commence l’écriture du film pendant que sa femme s’occupe de quelques gros félins achetés à divers cirques ou zoos. Problème : le couple ne dispose d’aucun permis pour garder des lions en captivité, la loi les oblige donc à les déménager en 1972. Cela fait déjà deux ans que l’écriture du film est entamée donc autant vous dire que le couple a bien le seum. Qu’à cela ne tienne ! Avec l’aide de producteurs, Noel décide de faire construire un ranch dans un canyon californien. SUPER BONNE IDÉE NOEL.
La construction du « décor » est un immense chantier : le couple fait ériger une clôture autour de la propriété dans laquelle on fait pousser de nombreuses plantes supposées rappeler la végétation d’Afrique. On fabrique le fameux ranch dans lequel vivra la famille quelques années : une sorte d’hôpital pour animaux, un petit studio de cinéma (salle de montage, entrepôt), plusieurs annexes pour recevoir, loger et nourrir l’équipe. On creuse aussi un lac et on installe un frigo pour stocker la nourriture des fauves, avec une capacité de 4 500 kilos de viande (je vous raconte pas les aprems barbeuk chez les Hedren Marshall, ça défouraille sec en matière de côte de boeuf braisée).
Le scénario du film est assez basique (pour pas dire un peu pourri) : une femme et ses deux enfants rendent visite à son ancien mari qui s’est installé en Afrique pour élever des félins dans une réserve. La famille arrive en l’absence du mari et se fait attaquer par les animaux sauvages en question. Et afin d’incarner cette gentille famille, le couple a eu la bonne idée de s’attribuer le rôle des parents et de donner ceux des gamins à leurs trois enfants.
Toutefois, vous l’aurez vite compris : le véritable casting du film c’est celui des animaux sauvages, qui n’ont pas du tout fait le Cours Florent et maîtrisent peu le concept de fiction. En 1979 le couple avait accumulé soixante-et-onze lions et vingt-six tigres. Vous trouvez que c’est déjà beaucoup ? Eh bien pas pour Noel qui avait aussi mis la main sur deux jaguars, quatre léopards, dix panthères noires, un ligre (croisement entre un tigre et une lionne) et dix cougars. En dehors des félins le couple avait également sept flamants roses, quatre grues, six cygnes noirs, quatre bernaches du Canada, deux paons et deux éléphants. Une vraie petite savane.
Après six ans de préparation, d’écriture, de dressage d’animaux et vie de famille au milieu des animaux le tournage commence en 1976. Il devait alors durer six mois, mais en 1979 il est loins d’être terminé. Le studio créé par Noel fait banqueroute, les dettes s’accumulent et tous les membres de l’équipe doivent faire plusieurs petits boulots différents sur le tournage. Il faut dire qu’en 1973, quand la famille n’avait pas encore tous ses animaux, il fallait débourser 4000$ de viande par semaine pour nourrir les lions.
Au total, Roar aura coûté près de dix-sept millions de dollars et n’en rapportera que deux à sa sortie. Un énorme flop, mais qui deviendra culte avec les années. Pourquoi ? Parce qu’il met en scène des acteurs qui se font attaquer par plein d’animaux sauvages alors qu’il ne comporte aucun trucage ou effets spéciaux. C’est con, inconscient, dangereux et ça marche.
Pour vous donner une idée d’à quel point ce tournage a été dangereux il suffit de vous citer le texte écrit dans la bande annonce de sa réédition de 2015 : « Aucun animal n’a été blessé pendant le tournage de ce film. 70 membres de l’équipe l’ont été. » La messe est dite. Roar est ce qu’on pourrait tout simplement qualifier d’oeuvre inconsciente : les acteurs devaient jouer une famille qui se faisait attaquer par des animaux mais rien n’était sécurisé.
Quand on voit Noel intervenir entre deux lions qui se battent et se faire défoncer la gueule c’est vrai. Quand on voit Tippi et ses enfants sauter d’une barque avant qu’un éléphant ne l’écrase et la réduise en éclats c’est vrai. Quand on voit un tigre choper la tête d’une gamine avec sa gueule, un lion sauter et plaquer Noel au sol ou encore son fils John se faire poursuivre à moto par un éléphant, c’est tout aussi vrai. Soixante-dix personnes de l’équipe (acteurs et techniciens) ont été blessées officiellement pendant ce long tournage mais de son propre aveu, Marshall estime qu’il y en aurait plus de cent.
Si certains s’en sont sortis avec quelques griffures (de fauves quand même), le chef opérateur Jan De Bont a par exemple été scalpé par un lion et a nécessité 220 points de sutures pour être soigné, Noel Marshall a été mordu et griffé tellement de fois qu’il a développé une gangrène et mis plusieurs années à se remettre physiquement du tournage, Mélanie Griffith a été mordue au visage et opérée en chirurgie réparatrice (la scène est même dans le film), Tippi a eu une hanche cassée après la scène avec l’éléphant et on a enregistré plusieurs fractures (et même une morsure au cou). On a relevé en tout des centaines de griffures, morsures et infections sur le tournage.
Roar n’est pas un chef d’oeuvre du cinéma mais reste néanmoins intéressant à voir tant il fourmille de moments où l’on se dit « nan mais ils n’ont pas fait ça quand même, c’est de la folie », c’est véritablement un miracle qu’aucune personne ne soit morte pendant sa production. D’autre part Noel Marshall a remporté le prix du meilleur papa en 1981 quand est sorti le film (c’est faux). Roar a été réédité en 2015, trente-quatre ans après sa sortie et il reste toujours aussi improbable de dangerosité, raison pour laquelle il faut absolument le regarder.