C'est dimanche, c'est une playlist. Comme le disait l'ami Georges Brassens, "les trompettes de la renommée sont décidément bien mal embouchées". Quand certaines impostures jouissent d'une notoriété et d'une exposition hors du commun en comparaison de leurs faits (je ne citerais pas de noms), d'autres se retrouvent privés d'une mise en lumière que leur talent mériterait pourtant tout autant. Toutes les générations ont eu droit à leurs loosers magnifiques, et quand il s'agit de citer quelques destinées tragiques, les seventies ne manquent pas l'appel. Heureusement la fée Internet nous permet de découvrir ou redécouvrir tous ces malchanceux oubliés de la déesse aux cent bouches. Alors, profitons-en :
- "Baby Lemonade" - Syd Barrett (1970)
Après avoir été débarqué des Pink Floyd pour cause de perdition complète de la réalité, Syd Barrett sort deux albums aussi fulgurants que déréglés avant de s'éteindre définitivement dans sa retraite familiale. Très pop, "Baby Lemonade" est probablement l'une des chansons les plus "stables" que l'on peut trouver dans sa carrière solo, l'un des titres qui correspond le plus à notre dimension de simple terrien sans histoire. - "Thirteen" - Big Star (1972)
La formation californienne de power-pop Big Star signe l'une des plus touchantes évocations de l'adolescence avec "Thirteen", ode aux amours de jeunesse évanescents d'une simplicité désarmante. Issue de leur excellent premier album #1 Record, la chanson, ainsi que le groupe n'eurent pourtant pas le succès commercial escompté ; en grande partie à cause du manque de soutien marketing de la Stax Records ainsi que d'une campagne de distribution désastreuse. - "Song To The Siren" - Tim Buckley (1970)
Très jeune, Tim Buckley céda à l'appel du large. Et c'est probablement durant l'une de ses promenades en haute mer que le troubadour ébouriffé composa cette ballade enamourée pour l'une de ses conquêtes maritimes. Hélas, succomber au chant des sirènes entraîne une mort certaine, et la destinée de Tim se fracassa sur les récifs de la jeunesse à seulement 28 ans, abandonnant derrière lui un petit Jeff, qui héritera de la même voix prodigieuse et de la même destinée funeste. - "Golden Child Of God" - Emitt Rhodes (1971)
En dépit du fait que Emitt Rhodes soit désormais quasiment anonyme pour quiconque ne fréquentant pas les albums pop oubliés des seventies, celui-ci possédait un talent colossal (Rhodes, Colosse...m'voyez) et fut même affublé d'un surnom très flatteur de la part de ses contemporains de l'époque puisqu'il fut surnommé "l'homme Beatles". Plus que les Beatles, il serait plus juste de citer le seul McCartney comme inspiration principale tant les mélodies somptueuses et la voix du garçon semblent avoir été façonnées dans le même moule. Hélas, les destinées ne furent pas semblables pour les deux artistes. - "Camille" - Bill Fay (1971)
Bill Fay vient de sortir un album studio en ce mois d’août après une absence de plus de quarante ans, juste le temps de faire un peu le point quoi. Il faut dire que l’expérience qu'il eût du monde du business musical aurait pu le laisser un peu amer puisque Decca lui avait rendu son contrat d'artiste au début des seventies malgré la production de deux superbes albums et de démos belles à pleurer. Hélas, faute de publicité les ventes furent décevantes et Bill tomba dans l'oubli. Il faut savoir que Decca, c'est tout de même la maison de disques qui avait refusé de signer les Beatles au début des années 60...car ils étaient dépourvus d'avenir. - "Sea Song" - Robert Wyatt (1974)
Robert Wyatt enregistre son très introspectif album Rock Bottom suite à un accident conjugal qui le laissa infirme des deux jambes (il aurait sauté par la fenêtre du quatrième étage pour éviter de se faire prendre en flagrant délit d’adultère). "Sea Song", pièce maîtresse de sa catharsis, s'écoule au rythme d'un piano aqueux le long de rivages électroniques inquiétants, tandis que l'artiste se fait le chantre des immensités bleues. - "Sugar Man" - Sixto Rodriguez (1970)
À la fin des années 60, comme beaucoup d'autres brebis égarées, Sixto Rodriguez dut faire face à une addiction destructrice : le sucre. Pour exorciser ses souffrances, celui-ci nous confia le tourment causé par l'attente fébrile du marchand de glucose dans cette ballade folk aux arrangements psychédéliques d’excellente facture parue sur son premier album Cold Fact. Malgré l’insuccès immérité de ce dernier, la chanson présentée ici demeure une ballade poignante sur les effets néfastes de l'hypoglycémie, enfin je crois... - "Didn't I" - Darondo (1973)
Darondo a pas mal bourlingué dans la vie, occupant des postes aussi divers qu'animateur, physiothérapeute ou proxénète (paraît-il). Entre-temps, il a aussi eu le temps de claquer trois singles rapidement oubliés au début des années 70 dont l'irrésistible "Didn't I" fait partie. Toutefois, grâce au flair du DJ Gilles Peterson, Darondo publia un merveilleux album en 2006 (Let My People Go) regroupant toutes les perles soul-funk du bonhomme. - "Love And A Molotov Cocltail" - The Flys (1977)
Un refrain obsédant, un chant rappelant David Bowie, un format expéditif de 2 minutes 30 ; avec ce parfait compromis entre l’énergie punk et l'attrait pop le premier single des Flys possédait toutes les qualités requises pour faire mouche. Il n'en fut rien, le cocktail explosif ne fit pas l’effet d'une bombe sur les ondes et ce en dépit de quelques bonnes critiques musicales par-ci par-là. - "Here In The Year" - Cold Sun (1970)
En 1970, le rock progressif venait juste de naître par l'intermédiaire de King Crimson et bien qu'à l'agonie, le courant psychédélique connut encore quelques soubresauts avant de tomber en désuétude complète quelques mois plus tard. À la croisée des chemins, l'obscur groupe Cold Sun décida de regrouper les deux mouvements dans ce morceau méconnu de prés de neuf minutes qui fut enregistré en 1970 et publié seulement en 1989 avec un tirage très restreint. Une pièce de collection, donc.
Source : The Magical Mystery Tunes: Trésors cachés des 70's