A l’heure où Bachar Al Assad a rendu sa légion d’honneur à la France, il est intéressant de se pencher sur la liste des personnes décorées du petit macaron et de la croiser avec le nombre de morts qu’ils ont occasionné. Parce qu’on se plaint quand on file la légion à Johnny, mais on ne dit rien quand on la donne à Franco. C’est un monde.
Bachar Al-Assad - Au moins 500.000 morts
Il l’a rendue, tant mieux. Mais en 2001, Chirac la lui avait remise, la légion d’honneur, dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler la diplomatie avec les dictateurs par l’honneur à la con. On ne va pas revenir en détail sur la guerre en Syrie, hein, je pense que tout le monde connaît, mais ce qui est drôle c’est qu’on n’a même pas eu le temps de la lui retirer que la Syrie l’a rendue. Les temps changent : en 2008, il était invité du défile du 14 juillet.
André Tulard - beaucoup, beaucoup de juifs
Le type avait un poste important pendant l’occupation, puisqu’il était le sous-directeur du service des affaires juives de la préfecture de Paris. En gros, il recensait les juifs et tenait le fichier. Et il était super balèze sur l’Excel de l’époque, bien plus que ses homologues belges, par exemple ; sans doute parce qu’il avait déjà établi un pareil fichier pour les communistes pendant la Troisième république. Lié à la rafle du Vel d’Hiv, Tulard n’a été confondu, bien après sa mort, que dans les années 1990 par les Klarsfeld. Il est toujours Chevalier de la légion d’honneur.
Maurice Papon - complicité de crimes contre l'humanité et répression sanglante
Joli palmarès pour Papon : délégué à la préfecture de Bordeaux en charge des questions juives pendant l’Occupation, il devient préfet de police responsable de la tuerie à la station Charonne lors de la manifestation de 1962. C’est de Gaulle, qui le fait chevalier de la légion d’honneur en 1961 : tout ça est plutôt ironique. Devenu député, puis ministre du budget sous Giscard, il est rattrapé par le Canard Enchaîné en 1981 et condamné pour complicité de crimes contre l’humanité en 1998. Déchu de l’ordre en 1999, il se fait tout de même enterrer avec son petit macaron.
Benito Mussolini - pas mal de morts
En 1923, à l’occasion de la foire de Milan, Mussolini est fait grand croix de la légion d’honneur. Les Français voulaient éviter la guerre, on le sait, et faisaient preuve d’une belle lâcheté pour y parvenir. Il n’a jamais été déchu de ce titre, malgré son rapprochement avec Hitler, les pratiques de l’Italie fasciste, les déportations, tout ça… C’est qu’à l’époque, on ne pouvait pas déchoir les étrangers de l’ordre. On ne le peut que depuis Noriega, en fait.
Manuel Noriega - au moins deux morts, mais à quoi bon compter ?
L’ancien dictateur panaméen, homme de la CIA et du trafic de drogue puis opposant aux Etats-Unis, usurpait son titre de chef d’Etat, mais pas sa légion d’honneur. C’est Mitterrand qui la lui avait remise en 1987. Jugé aux Etats-Unis, en France par contumace et au Panama, condamné au moins pour le meurtre de deux opposants politiques, il arborait lors de son procès de 2010 sa légion devant la cour. On l’a déchu, mais c’était un peu tard.
Paul Aussaresses - pas mal de mort en Algérie
Ce qui est bien, quand on a la légion, c’est qu’on se sent pousser des ailes. Prenez Aussaresses : en 2001, il a jugé bon de revendiquer la torture pratiquée en Algérie sans aucun remords, sans aucun regret. Il a maquillé des assassinats en suicides avec la complicité du général Massu, enfin des trucs sympatoches. Chirac, jouant les vierges effarouchées, l’a déchu de sa légion, mais ça n’enlève rien à l’affaire.
Ben Ali - tortures et emprisonnements arbitraires
En 1989, Mitterrand l’a fait Grand Croix. C’était notre pote, Ben Ali, il défendait bien les intérêts français et garantissait nos intérêts dans l’ancienne colonie tunisienne. Déchu en 2011, il était régulièrement pointé pour sa pratique ultra-autoritaire du pouvoir avec liberté de la presse absente, torture régulière, procès inéquitables et corruption à tout va. Le panache.
Franco - Au moins 700.000 morts
Rien que pendant la Guerre d’Espagne, hein. On découvre encore aujourd’hui des charniers. Et on ne compte pas les exécutions réalisées par le camp républicain, hein, tout aussi condamnables (sauf que, rappelons-le, le gouvernement était élu démocratiquement et c’est Franco qui faisait le coup d’Etat). Décoré en 1928 et élevé au grade de commandeur en 1930, Franco a conservé sa décoration toute la sa vie. En 2017, un petit-fils de Républicain a pourtant saisi le tribunal administratif en demandant à ce que la légion d’honneur lui soit retirée, mais il a été débouté en février dernier, la justice estimant que la mort de Franco l’empêchait de se défendre.
Ceausescu - Impossible de savoir le nombre de victimes, mais il est colossal
Quand il arrive au pouvoir, en 1965, Ceausescu passe pour un réformateur non-aligné, genre de de Gaulle local. Autant dire que le généralissime qui dirige la France est content : voilà un type avec qui on va pouvoir parler et pourquoi pas monter une voie médiane entre l’Est et l’Ouest… Jusqu’à ce que Ceausescu vrille complètement et adhère à la doctrine de l’homme nouveau. Morts en séries, massacres, condamnations arbitraires, une horreur absolue. Mais Nicolae gardera son petit macaron jusqu’au bout.
Jean-Bedel Bokassa - difficile à évaluer
Décoré de la légion d’honneur pour ses faits d’arme dans l’armée française pendant la Seconde guerre mondiale, Bokassa, une fois à la tête de l’Etat centrafricain, a viré mégalo fou dans des proportions inimaginables. Se décrétant empereur, il menait une répression sanglante, coups de canne ou assassinats des opposants qui n’osaient plus moufter, avec la bienveillance totale de l’Occident. Sans compter ce que ses détournements de fonds ont pu coûter à ses administrés en famine et en tristesse.
Nous reviendrons. Et nous serons des légions.