Evo Moralès, président socialiste de la Bolivie depuis 13 ans, a été contraint de se réfugier au Mexique de peur que l’on attente à sa vie suite à ce qui s’apparente à un coup d’Etat orchestré par l’opposition avec le soutien de l’armée. Dans un pays profondément fracturé par des questions raciales et économiques, il s’agit d’une situation tout à fait étrange puisque les institutions républicaines prévalent sans pour autant que le processus démocratique ait été respecté. Alors que les violences flambent, on s’est dit qu’il ne serait pas inutile d’essayer de comprendre ce qu’il se passe là-bas.
Evo Morales était au pouvoir depuis 2006
13 ans donc que le président, indigène et d’origine modeste, exerçait un pouvoir plus ou moins autoritaire sur le pays avec en ligne de mire la lutte contre la pauvreté et les influences extérieures et la mise en oeuvre d’aides sociales pour les plus défavorisés. L’usure du pouvoir était certaine, d’autant que le contexte sud-américain tend vers l’autoritarisme avec la dérive autoritaire de Maduro au Venezuela et l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro au Brésil. Il n’empêche qu’une bonne partie de la population de ce pays très majoritairement indigène et métisse continuait de soutenir Morales et ses politiques de développement.
La régularité des élections en question
Les élections générales de 2019 ont été le théâtre d’affrontements d’une grande violence entre les pro-Moralès et l’opposition. A l’issue du scrutin, le parti de Morales a obtenu 47% des voix, soit 67 députés et 21 sénateurs, contre 36% pour son opposant principal et 9% pour la démocratie chrétienne, soit un total de 59 députés et 14 sénateurs. Un scrutin serré, donc, et dénoncé par l’opposition qui y a vu une fraude orchestrée par le pouvoir. Pour calmer le jeu, Morales a accepté qu’une mission indépendante se penche sur le déroulement des élections : celle-ci ayant identifié des irrégularités mais pas de fraudes, Morales a proposé d’organiser de nouvelles élections. Mais l’opposition n’a pas accepté cette proposition et la situation a dégénéré.
Le pays est profondément fracturé
La Bolivie est un pays pauvre. L’essentiel de ses ressources, jusque récemment, étaient minières, mais les mines se sont taries. Mais le pays a adopté des réformes qui ont permis un vrai accroissement des revenus et une meilleure répartition : depuis 2006, le PIB a pris 9 milliards de dollars, le PIB par habitant a triplé, l’inflation a été résorbée et l’extrême pauvreté a baissé d’un quart. Un miracle économique qui profite donc essentiellement aux populations les plus pauvres. Sauf que les plus riches, souvent blancs et pour l’essentiel basés autour de la capitale économique Sucre, n’acceptent plus cette situation de rééquilibrage, notamment depuis le vote, en 2009, d’une constitution donnant plus de pouvoir à l’Etat, plus de droits aux communautés indigènes et introduisant une séparation de l’église et de l’Etat.
Les 10 et 11 novembre, des manifestations se sont transformées en coup d'Etat
L’armée a lâché Morales en estimant que seule sa démission pourrait garantir la stabilité du pays. Menacé directement, Morales a décidé de quitter le pays. Dès lors, on a assisté à une flambée de violences : les maisons des proches du président ont été incendiées, des élus indigènes ont été lynchés en pleine rue et, à l’inverse, des paysans pro-Morales se sont montrés violents et l’armée a sévèrement réprimé les manifestations, faisant plusieurs morts.
La question de savoir s’il s’agit d’un coup d’Etat se pose, puisque Morales s’est de lui-même exilé au Mexique. Toutefois, l’Argentine, l’Espagne ou le Mexique ont parlé de putsch très clairement et le soutien apporté par les militaires à l’opposition plaide pour cette thèse du coup d’Etat. Seule l’armée garantit le pouvoir à la présidente par intérim. Par ailleurs, il est avéré que, sans intervenir directement dans les événements, les Etats-Unis ont largement apporté leur soutien à l’opposition bolivienne en finançant et en conseillant ses cadres depuis plusieurs années.
Tous les hauts dignitaires du régime ont été contraints à l'exil
Dans l’ordre protocolaire, il revenait au vice-président, puis à la présidente et au vice-président du Sénat, puis au président de la Chambre des députés de récupérer le pouvoir laissé vacant par Morales. Mais tous ces hauts personnages ont été contraints à l’exil car ils appartenaient à la majorité. Le pouvoir est donc revenu à la vice-présidente de la chambre des députés, soit le sixième personnage de l’Etat, qui appartient à l’opposition. En France, c’est comme si c’était un ministre d’Etat qui prenait le relais.
La présidente par intérim est raciste, sur une ligne proche de Bolsonaro
Jeanine Añez a eu par le passé des prises de position très très fortes contre les indigènes, estimant qu’ils n’avaient rien à faire en ville. En bon héritière colonialiste blanc catho, elle défend un modèle « propre sur lui », un libéralisme absolu et un alignement permanent sur les Etats-Unis, à l’image de ce que fait Bolsonaro au Brésil.
On sait à peu près quand il y aura de nouvelles élections
Puisque la loi a été promulguée. En revanche, cette loi interdit à Morales de se représenter, celui-ci étant par ailleurs poursuivi pour sédition et terrorisme, ce qui n’a il est vrai aucun sens. Même Bolsonaro s’était mieux débrouillé avec Lula dont les derniers éléments laissent entendre qu’il pourrait ne rien avoir à voir avec le scandale Petrobras mais qui a perdu du soutien à l’occasion de l’affaire.
En quelques semaines, toute la diplomatie bolivienne a été ébranlée
Tout le personnel diplomatique vénézuélien s’apprête à être expulsé de Bolivie et l’opposant à Maduro Juan Gaido a été reconnu pour président intérimaire du Venezuela par le nouveau pouvoir. La Bolivie s’apprête également à quitter l’Alba, organisation supranationale réunissant les pays de gauche sud-américains. Plusieurs ressortissants cubains et vénézuéliens ont également été arrêtés, soupçonnés de sédition.
Morales est toujours populaire
Même s’il est contesté jusqu’au sein de son propre parti, Morales continue d’être populaire au sein de la population, notamment pauvre. Plus de 40% des Boliviens soutiennent l’action de Morales et ne comptent pas se satisfaire de l’organisation de nouvelles élections. Ils considèrent qu’on leur a volé leur élection. La polarisation politique pourrait déboucher sur des émeutes, voire, on ne l’espère pas, sur une guerre civile.
Morales aura beaucoup de mal à revenir
Sauf à ce qu’on assiste à un spectaculaire renversement de l’armée, Evo Morales devrait avoir le plus grand mal à se représenter. Or, sans lui, le MAS a toutes les chances d’être balayé aux prochaines élections qu’on imagine volontiers cadenassées par l’opposition et l’armée.
Bonne ambiance.