Depuis 1929, 5 femmes, 5, pas une de plus, ont été nommées dans la catégorie meilleur.e réalisateur.rice. Et une seule a gagné l’oscar, Kathryn Bigelow pour Démineurs, en 2010. A raison de 5 nommés dans la catégorie chaque année depuis 91 ans, cela signifie donc au total 1,1% de femmes nommées. S’il faudrait rapporter ce chiffre à la proportion réelle de femmes réalisatrices dans un métier très masculin, ça n’en reste pas moins très très très peu. Pourtant, y’avait de quoi faire.

Leni Riefenstahl pour La Lumière bleue (1932)

Est-ce que ça paraît bizarre de commencer un top par une réalisatrice connue pour être devenue la caméra officielle du nazisme ? Peut-être, mais ce serait assez réducteur de ne considérer Leni Riefenstahl que sous cet angle. La réalisatrice allemande a été sans aucun doute la plus influente et la plus créative de tous les cinéastes de son époque et son premier film, La Lumière bleue, jette les bases de tout son cinéma : expressionnisme revu et corrigé, métaphysique bizarre et cadrage magnifique. Le film a gagné le Lion d’argent à Venise et aurait eu sa place aux Oscars, même si, à l’époque, les Oscars étaient essentiellement tournés vers le cinéma américain.

Qui a gagné cette année-là ? Bad Girl de Frank Borzage.

Agnès Varda pour Cléo de 5 à 7 (1962)

Agnès Varda n’a jamais été nommée à l’Oscar du meilleur réalisateur alors même qu’elle a vécu une partie de sa vie aux Etats-Unis avec Jacques Demy. Sélectionné au festival de Cannes, Cléo de 5 à 7 n’a rien gagné et a été totalement ignoré par l’Académie des Oscars. Pourtant, le film a marqué l’histoire du cinéma mondial, emmenant la Nouvelle vague vers de nouveaux horizons oniriques avec une photo dingue et une retranscription par l’image absolument merveilleuse de la peur de Cléo, chanteuse dépressive en attente de résultats d’analyse.

Qui a gagné cette année-là ? West Side Story de Robert Wise et Jerome Robbins (La Dolce Vità était aussi en lice).

Barbara Loden pour Wanda (1971)

Road movie situé quelque part entre Les Passagers de la pluie (Coppola) et le cinéma de Cassavetes, un film d’errance magnifique sur la fuite d’une femme à la dérive qui inspirera plus tard Thelma et Louise. Meilleur film étranger à la Mostra de Venise, Wanda avait notamment reçu le soutien de Marguerite Duras, dont on ne pas dire qu’elle soit stupide.

Qui a gagné cette année-là ? Patton de Franklin Schaffner (devant Fellini et Altman).

Chantal Akerman pour Jeanne Dielman (1975)

Inventeuse formelle et narrative, Chantal Akerman a réalisé énormément de films plus ou moins fictionnels, plus ou moins expérimentaux. Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles est probablement son chef d’oeuvre. Illusion de temps réel et narration d’une précision dingue pour ce récit d’une mère de famille qui se prostitue pour gagner sa vie. Le Monde, à l’époque, parlait même (avec une bonne dose de machisme) de « premier chef d’oeuvre féminin de l’histoire du cinéma ». Le film est aussi une inspiration permanente pour Gus Van Sant et Todd Haynes et fascine par son hyperréalisme.

Qui a gagné cette année-là ? Le Parrain 2 de Coppola (devant Truffaut, Polanski et Cassavetes).

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Il n'a pas souffert, promis

Jane Campion pour La Leçon de piano (1994)

Première Palme d’or attribuée à une femme. Tout simplement. On aura rarement vu une telle beauté formelle dans un film. Des plans absolument somptueux, une sensibilité des mouvements et des silences qui met en valeur la beauté et la talent des acteurs, des costumes magnifiques, tout est beau et tout est parfait. Jane Campion a été nommée à l’Oscar de la meilleure réalisatrice, mais elle a perdu.

Qui a gagné cette année-là ? La Liste de Schindler de Spielberg.

Mary Harron pour American Psycho (2000)

La réalisatrice canadienne avait foutu le boxon en adaptant le livre de Bret Easton Ellis sur un tueur en série en col blanc, parabole pas bien finaude du capitalisme mais qui préfigurait un nouveau genre cinématographique d’horreur ironique. Le film a pourtant été cantonné à des festivals d’horreur, en total décalage avec la puissance de son message et de sa qualité de réalisation.

Qui a gagné cette année-là ? American Beauty de Sam Mendes (OK c’est pas volé volé).

Ning Ying pour Un taxi à Pékin (2001)

Troisième volet d’une trilogie pékinoise, le film souligne les transformations de la capitale chinoise en plein boom économique des années 90, laquelle est perçue par un chauffeur de taxi récemment divorcé qui ne cesse de la traverser et de nous la faire découvrir. Un film naturaliste, presque, d’une grande beauté formelle et pas seulement contemplative.

Qui a gagné cette année-là ? Traffic de Soderbergh.

Catherine Hardwicke pour Thirteen (2003)

Prix de la mise en scène à Sundance, Léopard d’argent à Locarno le film n’est pas parvenu à sortir du circuit indé. Pourtant, cette histoire de déviance d’une jeune fille rangée présentait une vraie singularité dans son traitement nerveux et une modernité indiscutable à la fois dans le sujet et dans la construction du film. Résultat : Hardwicke a fini par réaliser Twilight, et c’est vraiment moins bien.

Qui a gagné cette année-là ? Le Pianiste de Polansi (OK, c’est fair aussi).

Sofia Coppola pour Lost in Translation (2004)

Sofia Coppola a été nommée, cette année-là, mais faut quand même pas déconner : donner l’Oscar au Retour du roi alors qu’il y avait en face un des films les plus beaux, les plus émouvants et les plus étonnants des dernières années, c’est quand même hallucinant.

Qui a gagné cette année-là ? On vient de le dire, vous suivez ?

Miranda July pour Moi, toi et tous les autres (2005)

Une comédie dramatique préfigurant toute la vague des films jaunes : le film est absolument magnifique, d’une précision chirurgicale quant à l’équilibre comédie/drame, et il incarne parfaitement l’orientation artistique du milieu des années 2000. Pas un chef d’oeuvre, mais on comprend mal qu’il soit passé totalement au travers des récompenses américaines (le film a quand même obtenu la caméra d’or à Cannes).

Qui a gagné cette année-là ? Million Dollar Baby de Clint Eastwood.

Ondi Timoner pour Dig! (2005)

Un documentaire (une fois n’est pas coutume) sur les parcours croisés de deux groupes de rock des années 1990, The Dandy Warhols et The Brian Jonestown Massacre. Les premiers vont s’imposer à force de conformation sociale ; les deuxièmes sombreront, emportés par la folie destructrice de leur leader, Anton Newcombe. Un instantané au long cours de la vie du rock qui n’a rien à envier à des classiques du genre, comme Sympathy for the Devil.

Qui a gagné cette année-là ? Million Dollar Baby de Clint Eastwood qu’on vous dit !

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Il n'a pas souffert, promis

Susanne Bier pour After the Wedding (2007)

Ok je reconnais, je ne l’ai pas vu, contrairement aux autres films de ce top. Proposé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, le film met en scène un bon samaritain occupé à monter un orphelinat en Inde, forcé d’assister au mariage d’un généreux donateur danois. Mais c’est surtout pour le confronter à son passé, à une époque où il n’était pas un bon samaritain. En gros un Festen en plus thriller et moins caméra à l’épaule.

Qui a gagné cette année-là ? Les Infiltrés de Scorcese.

Haifaa al-Mansour pour Wadjda (2013)

Un film saoudien réalisé par une femme saoudienne et mettant en scène un personnage de petite fille décidée à s’émanciper ? Oui, c’est possible. Et c’est même un assez grand film, proposé pour représenter l’Arabie Saoudite aux Oscars pour le meilleur film étranger et finalement rayé de la liste. Il aurait mérité mieux.

Qui a gagné cette année-là ? L’Odyssée de Pi d’Ang Lee (vous avez bien lu).

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"*TUIUIUIUIUIU* Oui allô ? / Oui ce serait pour signaler un lien disparu / Ok on envoie nos équipes d'enquêteurs sur le coup"

Andrea Arnold pour American Honey (2016)

Un apprentissage de la liberté pour une jeune femme amenée à traverser l’Amérique avec ses nouveaux amis. Sorte d’hommage direct au cinéma des années 70 avec une touche trash beaucoup plus actuelle, American Honey a remporté la caméra d’or à Cannes. Les Oscars n’étaient pas loin.

Qui a gagné cette année-là ? The Revenant d’Inarritu.

Greta Gerwing pour Lady Bird (2018)

Nommée, Greta Gerwing n’a pas remporté l’Oscar pour ce film d’apprentissage au cours duquel l’héroïne confronte son regard d’enfant à la vie adulte, proposant une vision personnelle et émouvante du monde moderne. Elle aurait pu.

Qui a gagné cette année-là ? La Forme de l’eau, un remake d’Amélie Poulain par Guillermo Del Toro.

1,1%, ça fait pas lourd.