Peut-être que moi aussi, à 103 ans, si je ne suis pas morte irradiée / tuée en faisant mon jogging / tabassée à la sortie de mon collège / en bouffant des graines germées (rayer la mention inutile), j'aurai une irrépressible envie de coller mes paluches défraîchies sur tous les nourrissons qu'on voudra bien mettre sur ma route. Et si c'est le cas, il sera absolument impossible de m'éviter puisque je connais tous les trucs et astuces de jeune maman pour éconduire de la vioque. En attendant, rions un peu. Parce qu'on va pas en pleurer non plus, hein, de voir les anciens tripoter nos rejetons ? Si ?
- Sortir l'armure : couvrir ton mioche. Tu ne laisses pas un seul centimètre carré de peau apparente. La peau du bambin sur les vieilles c'est pire qu'une artère tranchée pour un vampire. Casquette, t-shirt à manches longues, chaussettes. Surtout chaussettes, parce qu'en écharpe, comme en poussette, c'est ce qui dépasse, et la vieille ne peut pas résister à lui gratter le pied. Ne me demandez pas pourquoi, c'est comme ça. C'est viscéral. Idéalement faudrait lui mettre un masque pour bien faire, parce que même couvert des pieds à la tête, le bébé, taquin, va draguer la vieille à coups d'oeillades et de sourires édentés - vieux et bébés, solidarité buccale - juste pour te faire chier.
- Faire diversion : les vieilles elles aiment les gentils bébés "gracieux" comme elles disent. WTF ?! Gracieux... "Oh, qu'elle est gracieeeeeuse". Tu te tournes pour vérifier que ta gosse est pas sur ses pointes en train de danser le Lac des Cygnes à l'opéra Bastille mais non, elle défonce tranquillement sa couche avec un soubressaut du côté gauche de la lèvre inférieure, mais elle est "gracieeeeeeuse". Soit. Tu pinces l'enfant, discrétement mais fermement, et hop, en un quart de seconde la vieille a pris son déambulateur pour une trottinette et a disparu de ton champ de vision. Elle viendra pas te faire croire qu'elle peut pas porter ses packs d'eau toute seule cette été, la fourbe, elle est en pleine forme.
- Jouer sur les maux : on est en plein été mais tu colles des moufles à ton gosse. "Oh, mais qu'est-ce qu'il a ce pauv' petit bouchon ?" "Ah non ça c'est rien, on sort de la période contagieuse dans quelques jours mais avec la lèpre, faut être prudent". Hop, déambulateur-trottinette et paix royale. Bien entendu, le risque, c'est d'être bannis de la fête des voisins pour quelques siècles, m'enfin, on s'en fout, ça vaut le coup.
- Clasher la vieille par bébé interposé : im-pa-rable. Grand sourire aux lèvres, langage corporel zen et délié, on s'adresse au bébé avec une tendresse infinie et une cruauteé totale: "Tu vois, la dame elle est très trèss vieille et elle peut pas s'empêcher de peloter les beaux bébés comme toi en croyant qu'elle va t'aspirer un peu de jeunesse alors que non, ça n'arrivera pas !" ou "C'est rien mon bébé c'est un peu désagréable ces mains toutes rêches mais maman va te faire un massage avec ses douces mains juste après" ou "Oh mon bébé pourquoi tu grimaces ? Tu la connais bien cette odeur tu la sens à chaque fois qu'on prend l'ascenseur avec Madame Lavieilledudessus ?". Evidemment la parade n°4 est à proscrire en cas de déficience auditive, donc aucune efficacité sur 50% des vieilles.
- Ériger une barricade : c'est le stade après l'armure. Rajouter une cape de portage en titane à l'écharpe, une capote anti-pluie et une ombrelle à la poussette, une grille au-dessus du siège auto. Cette parade exige de vérifier que le bébé peut toujours respirer convenablement, bien entendu.
- Fuir : non, pas fuir genre relâcher son périnée - ou, plutôt, ne pas réussir à le contracter. La fuite en courant. Sortir par le parking - les vieilles ne conduisent la plupart du temps rien d'autre qu'un chariot de courses - se planquer dans le local poubelle quand elles passent, profiter du moment où elles séquestrent le facteur pour passer en mode coup de vent.
- Bercer son bébé non stop : le doigt crochu s'approche sur la droite ? Bercer à gauche. Il tente une percée sur la gauche ? Bercer à droite. "Oui, j'essaye de l'endormir mais rien à faire, elle est épuisée pourtant je le vois bien, quand elle ne supporte pas qu'on la touche comme ça c'est qu'elle est crevée. Je vais vite marcher hein, comme ça, ça la berce et elle va s'endormir" "Ah mais le papa vient de me dire qu'elle avait dormi 3 heures ?" "Oui, oui oui c'est vrai mais elle si elle a pas ses 6h de sieste, on en fait rien... Allez, bonne fin de journée !" Bien entendu chaque parade nécessite un zeste - ou une caisse - de mensonge éhontés.
- Jouer la montre : toujours accélérer à la vue de la vieille. Prétendre qu'on a repris le travail alors qu'on est en congé parental. Inventer un rendez-vous chez le pédiatre tous les deux jours, on s'en fout, en 2 jours la vieille a tout oublié. Tiens, s'inventer une bonne dépression post-partum et se dire en retard chez son psy. Un peu risqué rapport aux services sociaux mais personne ne croirait une vieille, elles sont toutes folles, c'est bien connu !
- Accélérer le processus : une petite tape dans le dos en haut des escaliers, un discret croche-patte devant le rayon surgelé, un médicament surprise glissé dans le semainier... Va peloter du nouveau-né avec un col du fémur en miettes !
- Faire comme tout le monde : sourire poliment, serrer un peu les fesses en voyant la main tremblante s'approcher de la joue tendre, s’entraîner à l'apnée quelques secondes si l'haleine menthe fraîche n'y est pas, remercier des beaux compliments et se retenir de faire un pas en arrière. Partager un bref moment, parler de la pluie - surtout - et du beau temps - des fois - et échanger juste un peu.
Parce que nous aussi, à 103 ans et même un peu avant, ça nous fera un bien fou, du doux et du chaud bébé tout neuf sur nos vieilles peaux fatiguées, nos âmes lourdes et nos coeurs flétris. Et oui...