L’Histoire, c’est un truc que l’on raconte pour essayer de comprendre la direction dans laquelle vont les choses et faire naître, chez les élèves, un sentiment de trajectoire commune. L’Histoire est donc naturellement une construction, une réinterprétation de faits passés au prisme du présent, où les gentils et les méchants sont désignés de manière arbitraire en fonction des époques et des temps, et des mœurs. Mais il existe des documents, des sources, qui imposent une forme de vérité historiographique, même si leur interprétation sera fatalement sujette à la subjectivité. Or, pour se fabriquer une histoire commune, on tend parfois à s’éloigner de la vérité.
Clovis premier roi des Francs
On fait souvent remonter l’histoire de la royauté en France à Clovis, premier roi des Francs qui aurait ainsi institué le régime qui allait prévaloir jusqu’en 1789. Sauf que Clovis n’est pas seulement le père fondateur de la royauté en France, mais aussi une figure tutélaire en Allemagne et pour cause : le royaume qu’il dominait couvrait également une partie de l’Allemagne. Les attributs royaux dont on l’a affublé, au premier rang desquels la fleur de lys qui devait s’imposer comme un symbole de la monarchie pour les siècles des siècles, sont également apocryphes. Par ailleurs, il ne fut pas le premier roi à être sacré, puisque ce rôle devait revenir à Pépin le Bref. Enfin, l’histoire du vase de Soisson rapportée par Grégoire de Tours est très probablement une légende. C’est au cours de la guerre de Cent ans que le pouvoir s’est emparé du mythe de Clovis pour fédérer la population contre les Anglais.
Charlemagne inventeur de l'école
Charlemagne n’en avait pas grand chose à foutre, de l’école : lui, son truc, c’était plutôt la guerre. En revanche, Charlemagne a bien essayé d’encourager le clergé de l’époque à se charger d’enseignement et d’entretien dans les écoles. Ce mythe de Charlemagne inventeur de l’école a connu un retentissement considérable quand Jules Ferry a créé l’école obligatoire dans les années 1880. Il constituait en fait l’amplification de chansons et de récits de gestes à peine posthumes à Charlemagne qui s’évertuaient à entériner l’importance du souverain. On racontait ainsi que Charlemagne avait fondé l’Université d’Aix-la-Chapelle en Allemagne, ou encore qu’il corrigeait lui-même les travaux des élèves. L’histoire était belle, mais fausse.
La consécration de François 1er à Marignan
Tout le monde connaît Marignan, 1515, sans toujours savoir à quoi correspond cette bataille. Victoire française en Italie, Marignan a contribué à asseoir la popularité et l’aura de François Ier, tout juste devenu roi de France, après que le chevalier Bayard l’a adoubé sur le champ de bataille. Une histoire inventée par la suite pour donner du grain à moudre au peuple lors du rapprochement de la chevalerie et de la monarchie après la défaite de Pavie. Par ailleurs, la relation privilégiée entre François Ier et Léonard de Vinci a été très exagérée, le maître italien ne passant guère que les toutes dernières années de sa vie en France.
Henri IV invente la poule au pot
Voilà lé légende : Henri IV, roi aspergé de parfum qui n’aimait pas se laver, a apporté à la France la paix religieuse et la prospérité : résultat, tous les Français pouvaient se taper la cloche autour d’une poule au pot, son plat préféré. De là à dire que bouffer avec le bon gros Henri devait être sympa, il n’y a qu’un pas que la postérité historique a largement franchi. Sauf que la seule mention de la poule au pot dans les propos d’Henri IV est une simple métaphore sur sa volonté de voir le royaume prospérer, en réponse à une attaque du duc de Savoie – et encore, il est bien difficile de dire si cette phrase n’a pas été inventée. De plus, poule au pot ou pas poule au pot, Henri IV n’était pas un déconneur : il usait de violence contre les révoltes paysannes ou régionalistes.
Diogène vivait dans un tonneau
Diogène, doux dingo rêveur qui aimait bien se promener nu et faire n’importe quoi, est connu comme le philosophe marrant qui vivait dans un tonneau, preuve de sa simplicité et de son détachement vis-à-vis des choses matérielles. Oui, oui. Sauf qu’en réalité les Grecs ne savaient pas fabriquer des tonneaux. Il vivait dans un genre de jarre géante, en fait, Diogène, un équivalent antique d’un container dans lequel on entreposait des trucs, notamment du pinard ou de l’huile.
La guerre de 1870
La guerre de 1870 a causé la chute de Napoléon III, l’avènement bizarroïde de la troisième république après la répression féroce de la Commune et puis surtout l’annexion à l’Allemagne de l’Alsace et la Lorraine, causant une frustration française terrible qui mènera tranquillement, 40 ans plus tard, à la Première guerre mondiale. Sévère défaite dont l’affront sera lavé par deux guerres mondiales, la guerre de 70 est souvent présentée comme le résultat des velléités expansionnistes de la Prusse dirigée par l’affreux et super méchant Bismark qui en plus de porter un casque à pointes, voulait bouffer du Français.
Ce qu’on ne dit pas, c’est que c’est la France qui a déclaré cette guerre après l’avoir préparée minutieusement en bâtissant une armée supposément invincible qui se fera rétamer en 6 semaines avec la défaite de Sedan.
Abraham Lincoln, premier militant contre l'esclavage
Qu’on se lie dise, Abraham Lincoln n’en avait RIEN à carrer du sort des esclaves. Lors de la guerre de Sécession, Lincoln n’avait qu’une seule chose en tête : le maintien en l’état de l’Union. Si les Etats du Sud étaient bien esclavagistes, il ne s’agissait finalement que d’un argument de plus, un argument porteur et un instrument de propagande pour les combattre. La déclaration de l’émancipation des esclaves n’était guère qu’un calcul politique. Lincoln a d’ailleurs déclaré : « Si je pouvais préserver l’Union sans libérer aucun esclave, je le ferais, et si je pouvais le faire en libérant tous les esclaves, je le ferais aussi ; et si je pouvais le faire en en libérant certains mais pas tous, je le ferais tout autant. Tout ce que je fais vis-à-vis de l’esclavage et des Noirs, je le fais pour sauver l’Union ».
Un genre de « Je vous ai compris » avant l’heure.
La guillotine, inventée par le vilain Docteur Guillotin
Voilà ce qu’on nous raconte. Les exécutions, c’était le bordel au XVIII° siècle. Donc, pour uniformiser la pratique, un chercha une méthode infaillible, et c’est Joseph Guillotin qui eut l’idée de sa machine à décapitation pas chère à produire et très efficace. Sauf que cette machine existait déjà depuis le Moyen-âge dans différents pays d’Europe et que Guillotin ne fit que proposer son utilisation lors des Etats généraux de 1789. On construisit dès lors une machine similaire à d’autres préexistantes en faisant appel pour ce faire à un autre médecin, Antoine Louis. Qui aurait dû donner son nom à la guillotine, mais la Louise, ça la foutait mal.
Archimède était dans son bain quand Eurêka !
La poussée d’Archimède, ce principe selon lequel « tout corps plongé dans un liquide subit, de la part de celui-ci, une poussée exercée du bas vers le haut et égale, en intensité, au poids du volume de liquide » n’a rien à voir avec ce qu’il se passe quand un bain déborde. Du coup, il y a fort à parier qu’Archimède n’était absolument pas dans son bain en comprenant le système, mais à sa table de travail. L’histoire aurait été moins bonne.
Newton et la pomme
Donc, si on résume : Newton rêvasse dans le parc, sous un arbre. Une pomme lui tombe sur le coin de la gueule. Newton comprend la gravité. Tout à coup. Il comprend son existence.
Mais cette histoire n’a jamais été mentionnée par Newton lui-même, mais a été inventée par un autre type, John Conduit, plus de 60 ans après la découverte de la gravité. Et elle n’était pas inventée pour faire son malin ; elle était inventée spécifiquement pour métaphoriquement illustrer le concept. Mais cette illustration imagée a eu un grand retentissement, car elle permettait de faire comprendre la gravité à des gosses. L’histoire a été racontée, amplifiée, déformée, jusqu’à s’insérer dans les manuels d’histoire.