Avoue-le qu’en regardant les inscriptions au conservatoire, tu pensais à toutes les filles que tu allais faire tomber en jouant du flamenco à la guitare. Avoue-le que la musique n’est pour toi qu’un moyen de draguer sans avoir à parler, de jouer la mélopée du « viens là qu’on se mette tout nu » à la faveur d’un regard perdu dans l’immensité des nuées. Mais pour parvenir à ses fins, il faut choisir son instrument.
Le triangle
Ting. Ting. Ting.
A chaque mesure, tandis qu’il donnait de la baguette un petit coup de boutoir contre la paroi du triangle, Simon effaçait de ses songes le souvenir lointain d’une fille à cheveux noués qui, en classe de 4ème, lui avait emprunté un effaceur. Il n’avait rien connu depuis qui atteigne ce niveau d’érotisme. Pour donner le change et passer le temps, il plaçait son pénis contre le métal glacé de l’instrument tous les soirs, lorsque la nuit tombait. « Tu me laisseras pas tomber, toi, hein ? » susurrait-il doucement.
L'ocarina
A force de souffler dans l’orifice de son ocarina, à force de refaire de tête des doigtés compliqués sur son corps oblong, à force enfin d’entendre « tu veux bien arrêter ton crincrin ? » aussitôt qu’il se mettait à jouer quelque pièce de sa composition, Anatole en était arrivé à la conclusion qu’il aurait mieux fait de se mettre à la contrebasse. Un jour qu’il avait demandé à Laura si elle voulait l’accompagner au cinéma, Laura pour qui il avait en secret composé tout un opéra baroque pour ocarina et flûte à bec, un jour qu’il guettait sur ses lèvres parfaites une réponse positive, anticipant déjà le moment où, la ramenant chez lui, il lui ferait découvrir l’oeuvre qu’elle lui avait inspiré, il l’avait entendu murmurer « arrête ton crincrin » et avait aussitôt perdu foi en lui-même et en l’humanité.
Les maracas
Teint faussement hâlé, chemise à fleurs, chapeau de paille ; en entrant dans ce groupe de chacha sobrement nommé « Los Tacos », Grégory pensait rejoindre la bande des cools. Jouer du latin jazz pour des filles en furie, déblatérer au bar sur d’hypothétiques aventures survenues quelque part au Pérou ou au Guatemala : il se voyait déjà chanteur, tablant sur les connaissances accumulées au cours de Mme Rodriguez pour se donner l’allure d’un Hector Lavoe moderne. Et puis on lui confia les maracas.
Depuis, Grégory agite des boules remplies de sable sur des reprises oiseuses de la Macarena. Les filles l’appellent Grégoire, en se trompant.
La flûte à bec
Pas besoin d’apprentissage. Pas besoin de solfège. Pas besoin de souffrir de la chaleur dans la salle B341 du conservatoire d’Issoudun. La flûte, c’était son truc. Les notes, il les entendait. En cinquième, quand, pour la première fois, il avait saisi son tube soprano, il avait eu le déclic. Il travaillerait chez lui, doucement, avec sérieux, jusqu’à connaître sur le bout des doigts tout le répertoire du lover. Les filles le regarderaient comme un surhomme, capable de réinterpréter par la force de son souffle leurs chansons préférées. Vincent était content ; il n’était pas peu fier de la sensibilité qu’il insufflait à Torn, de Nathalie Imbruglia, pas bégueule quand il s’agissait de faire des variations fruitées sur Sapé comme jamais.
« A croire que les filles n’aiment pas la flûte » pense Vincent, 40 ans, en serrant Mathilda, la flûte alto en nacre qu’il s’est offerte pour son anniversaire afin de compléter sa collection. Vincent vit seul. Deux voisins se sont plaint auprès des autorités pour nuisances sonores. Il regarde sa collection de flûtes. Il pleure.
Le tuba
« Bvvvvvooouuum, Bvvvvvooouuum, Bvvvvvuuuuum, Bvvvvvuuum » fait le tuba.
« Au secours » pense Ariane.
Cela fait maintenant 12 minutes que Théo l’a installée sur un fauteuil en cuir pour lui faire un spectacle de tuba.
Cela fait maintenant 12 minutes qu’Ariane a remarqué que Théo était ringard.
La cornemuse
Arthur voulait jouer sur le côté décalé de la chose. Il s’était dit : « Antoine joue de la batterie, Thomas de la guitare, Elliott du piano et Olivier de la clarinette. Il faut que je me trouve ma propre identité ». Comme son arbre généalogique envahissait l’Irlandes de ses racines les plus lointaines, Arthur avait opté pour une cornemuse. Instrument rare, curiosité, de quoi se muer en amuseur public et attirer auprès de lui toutes les filles à toutes les soirées. Prévoyant, il avait pris soin d’apprendre les Lacs du Connemara pour répondre aux demandes prévisibles.
Au lieu de cela, les filles s’agglutinent autour d’Elliott, Olivier, Thomas et Antoine qui viennent de monter un groupe de rock fusion.
Le didgeridoo
Quand Manu, dit Bango par ses proches, avait acheté son premier sarouel, il avait ressenti un vide existentiel. A quoi bon agiter ses bolas si l’on ne bénéficie pas d’un environnement sonore adéquat ? A quoi bon jouer au diabolo si les good vibes ne sont assurées par personne ? On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Manu doubla donc son achat. Sarouel ET didgeridoo. Décrié, l’instrument n’en recelait pas moins de secrets bien gardés qu’une pratique intensive suffirait à percer. Alors entre deux bangs, Bango se mit à jouer. A jouer continuellement. Sur la plage, la pelouse, aux festivals ragga : Bango se mit à jouer.
Tandis qu’il apprenait ainsi à manier son instrument, il n’a pas vu ses amis découper leurs dreads et ranger leurs sarouels. Mimi est devenue trader ; Billy Bob travaille dans une banque ; Kokolo est développeur informatique. Désormais, plus personne ne s’intéresse au didgeridoo de Manu qui ferait bien de chercher du boulot s’il ne veut pas que ses parents le foutent dehors.
L'orgue d'église
« Rien de mieux, pour séduire une petite, que de lui jouer un petit requiem dans une église le dimanche. Niveaux signaux de baise, ce n’est pas l’idéal, mais pour ferrer de la catho, on n’a jamais vu mieux ».
Ainsi songeait David en jouant du Bach sur son orgue portatif. La dernière fois que David avait vu une femme nue, c’était sa soeur sortant de la douche. C’était il y a quinze ans.
La cloche à vache
« Tout compte fait, quand on y réfléchit et si l’on n’y met pas de jugement de valeur, en prenant un peu de hauteur et avec la distance nécessaire, à condition bien sûr d’être ouvert d’esprit, attentif à la nouveauté et de laisser de côté les principes répétés par principe ; tout compte fait, donc, QU’EST-ce qui m’empêcherait, au fond, les yeux dans les yeux, de m’accoupler avec une vache ? » songeait François, occupé à agiter sa cloche devant un troupeau de petites Charolaises pas dégueu du tout.
Le synthé dégueu 80
Tinlinlinlin tintin tintintin tintin tin tinlinlinlin tintin tin tin tin tin tin tin tinlinlinlin…*
Avec ses lunettes de soleil Paradise Disco et son sourire enjôleur, Fred le savait : elles craqueraient toutes. Pour jouer, il savait jouer : avec un doigt le voilà qui produisait un solo de guitare.
Depuis, Fred a perdu ses cheveux. La seule personne qui a craqué, c’est lui : il en est à deux TS, déjà.
*Celui qui reconnaîtra la mélodie ainsi décrite et l’écrira en commentaire gagnera son poids en amour.
Rien ne vaut un bon vieux violoncelle.