Vous venez de décrocher un job dans une nouvelle entreprise (CDD de 6 jours au SMIC avec période d'essai de 6 mois), félicitations! Ne vous reposez pas pour autant sur vos lauriers. Voici quelques conseils qui vous permettront d'intégrer rapidement votre sympathique bande de nouveaux collègues (histoire de pas bouffer seul-e au self, de partager de bonnes vannes à la machine à café et d'être averti-e des dernières tentatives de sodomie à sec de la Direction) et de devenir en un temps record leur leader absolu, afin de vous constituer une armée de sbires dociles qui vous permettront d'en foutre le moins possible sans que cela soit visible: le but ultime de toute vie salariale.
- L'offrande
Apportez de la bouffe. C'est fédérateur. C'est aussi l'occasion de montrer aux autres que vous êtes enclin-e à concéder des efforts (financiers, carrément) pour intégrer leur cercle privé, en leur prouvant du même coup que vous n'êtes pas du style gros rat profiteur qui n'a jamais de cash quand c'est son tour de raquer le café (comme de par hasard...), vous octroyant en prime l'estime non désintéressée de la catégorie des gros rats sus-citée. - L'entraide et la prévenance
Soyez prêt-e à intervenir dans l'open-space, votre futur royaume. Appréhendez-en chaque détail, tenez-vous à l'affût, tapi-e dans l'ombre comme l'homme chauve-souris dans sa batcave. Un fil électrique entortillé dans la roulette d'un fauteuil, un téléphone mal raccroché, un collègue en pleine conversation téléphonique stratégique en quête éperdue d'un post-it, un autre désœuvré atteignant le point de non-retour en terme de balancement sur sa chaise ou simplement un appel général quand vous allez faire des photocopies, voilà qui vous rendra indispensable aux yeux de la meute . - La vigilance sexuelle
Ne négligez pas l'impact du sexe au bureau. Dans un but ouvertement arriviste ou juste histoire de maintenir la cohésion au sein du groupe, ou même vous offrir une pause copulatoire entre deux dossiers, soyez aux aguets quant à l'éventuelle possibilité de vous envoyer en l'air sur votre lieu de travail. C'est aussi le moyen de refiler insidieusement votre boulot à vos partenaires de jeu. - La maîtrise de l'art ancestral de l'hypocrisie
Il s'agit de lécher convenablement et bien obséquieusement le fondement de tout un chacun en flattant ses bas instincts. Machine trouve que Truc est une radasse arriviste? Bavez abondamment sur Truc, tout en vous dépêchant d'aller lui répéter toutes les saloperies que cette raclure de Machine déverse dans son dos: doublé gagnant puisque sous prétexte de consoler Truc vous pourrez éventuellement vous la faire. De même, Bidule est un horrible lèche-pantoufle aux yeux de Jean-Edern? (Appelons-le Jean-Edern.) Allez dans son sens tout en félicitant Bidule pour son esprit corporate pendant que cette grosse loque de Jean-Edern se les roule tranquillou dans la réserve ou fume des joints dans les waters. Doublé gagnant encore puisque vous pourrez tenter de démettre la rondelle de Jean-Edern en allant lui rapporter toutes les horreurs qu'on balance sur lui afin de lui témoigner votre solidarité. - Déféquer allègrement sur la Direction
Rien de tel pour renforcer la cohésion d'une équipe que de nourrir une aversion commune envers ses supérieurs hiérarchiques, cette engeance d'exploiteurs à la solde du Grand Capital qui vous spolie et vous exploite. N'hésitez jamais à proposer un budget croc de boucher pour pendre toute cette racaille dirigeante par les tripes, trouvez des surnoms dégradants, soyez le(la) premier(e) à chier sur "leurs techniques de management" (de l'oppression caractérisée oui!), initiez des complots au siège du syndic, affirmez votre conviction profonde quant à leur inutilité coûteuse ("j't'enverrai tout ça au goulag moi, au moins ils verraient ce que ça fait d'avoir les pieds dans la merde et les mains dans l'uranium, ouais on vend du tissu d'ameublement mais je me comprends Gérard, tu serais pas un social-traître par hasard?"), voire leur encombrante inaptitude au sein de la boîte. Mais DANS L'OMBRE. - La flagornerie
Vous avez insufflé un vent de révolte syndicale au bureau. Quand tout ce petit monde sera assez désespéré pour séquestrer les patrons, débrouillez-vous pour dénoncer comme il se doit toute cette engeance bolchevique qui a tenté de vous entraîner sur la pente dangereuse du syndicalisme (berk le syndicalisme), alors que tout ce que vous voulez, c'est que vos patrons soient heureux et continuent de se faire beaucoup d'argent grâce à vous et tant pis si vous bouffez des pâtes et êtes à découvert le 5 du mois, le sourire de votre boss vous récompense largement. Du moins c'est ce que vous lui affirmerez avec des yeux humides et une langue prompte à lustrer n'importe quelle chaussure (ou orifice pour les plus taquins) afin d'éviter les licenciements sanctionnant les comportements gauchistes échevelés. La délation, y'a que ça de vrai. - L'espionnage industriel
Prenez sur vous quand Monique vous pourrit la pause café avec ses problèmes intestinaux, quand Jean-Edern (toujours lui) qui s'est encore fait lourder vient vous chouiner dans la cravate ou quand -horreur-on vous invite à un pot moisi avec des cas sociaux neurasthéniques qui n'attendent que la prime de Noël pour s'acheter du Lexomil. Car votre apparente empathie et votre oreille compatissante sont des atouts majeurs: accumulez des dossiers compromettants sur tout le monde, que vous pourrez faire chanter à loisir et traiter comme du caca une fois que votre statut de leader, durement gagné à la sueur de votre pseudo corde sensible, sera bien installé: finalité suprême de votre entreprise de fouinage (ce mot n'existe pas) compulsif. - L'art délicat de la calomnie
Vous savez désormais tout de la vie (pitoyable) de vos congénères, grâce à Facebook. Vous pouvez utiliser vos connaissances à des fins dégueulasses-pour eux-et particulièrement avantageuses-pour vous. Vous pouvez aussi accélérer la cadence et rajouter une bonne grosse couche de mensonge ou "vérité arrangée". Par exemple, vous voulez le bureau de Jean-Edern. Racontez que ledit Jean-Edern se fabrique des cockrings vibrants AVEC LE MATÉRIEL DE L'ENTREPRISE au lieu de remplir les dossiers et qu'il fume du crack. Racontez aussi qu'il a piqué tout l'argent du CE pour partir en croisière-partouze avec des handicapés, le salaud. Plus c'est gros, plus ça passe. Pensez-y quand vous calerez confortablement votre petit derrière opportuniste dans l'ex-fauteuil de bureau de ce Jean-Edern que vous n'avez jamais pu piffrer de toutes façons. - Le sabotage
Quand vous n'avez personne à emmerder, vous vous ennuyez ferme. Vous pouvez remédier à cela en faisant couler votre boîte: une fois au chômage technique vous pourrez profiter des nombreux avantages sociaux auxquels vous autres assistés traînes-patin et sûrement en situation irrégulière avez droit. N'hésitez pas à dénoncer les magouilles douteuses de la direction à la cour des Comptes, au Fisc et à l'Urssaf. Au besoin, bidonnez tout ça. Intentez des procès à tout va pour harcèlement-Jean-Edern vous a claqué la bise, c'est un pervers. Louez (ou empruntez) des travailleurs clandestins que vous sortirez opportunément le jour d'une inspection. Branchez la photocopieuse sur un groupe électrogène à essence et dénoncez le bilan carbone catastrophique de cette tôle. - Le nervous break down
Vous avez envie de vous barrer aux frais de la boîte? Faites-vous passer pour instable. Courrez à poils dans l'open space, insultez tout le monde sous couvert d'un syndrome de Tourette fulgurant, agressez vos collègues et urinez sur votre patron. En plus de vous défouler efficacement, ces agissements vous permettront de vous octroyer un congé-maladie aux frais de la boîte, car avec tout ce que vous avez sur tout le monde, il ne vaudra mieux pas vous contrarier. Pour un meilleur effet, mangez une plante en plastique d'un air nonchalant.
Si vous suivez scrupuleusement ces conseils vous parviendrez aisément à atteindre ce stade avancé de popularité, et aucun collègue n'osera jamais plus vous contrarier, trop enorgueilli qu'il sera de kiffer l'insigne honneur d'évoluer dans votre cercle intime.
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