En 1988, Margaret Thatcher interdit les raves-parties en Angleterre après les débordements orgasmiques occasionnés par le Summer of Love et par le matraquage rythmique inhérent aux sonorités technos. Les raves et son environnement électronique devront alors, l'espace d'un temps, trouver d'autres terres d'accueil. La France sera de celle-ci, où la musique électronique se développera au point d'aboutir à une spécificité locale que les médias internationaux et nationaux vont rapidement qualifiés de "French Touch". En bref, des artistes majoritairement parisiens ou versaillais qui évoluent dans un microcosme géographique leur permettant de se côtoyer et de collaborer régulièrement ensemble, dans une orgie de sonorités nouvelles et avant-gardistes. Du 10 octobre 2012 au 31 mars 2013, le musée des Arts Décoratifs célèbre ce mouvement. Topito aussi :
- St Germain
L'album Boulevard (1995) de Ludovic Navarre, camouflé sous le sobriquet de St Germain (référence à la ville natale de l'artiste tout comme à la mythologie jazzy entourant le quartier parisien de Saint-Germain-des-Prés), est le premier véritable succès de la French Touch outre-frontière, et plus particulièrement outre-Manche. L'album, aux bornes de l'acid jazz et de la deep house, connaît un succès fulgurant en Grande-Bretagne et y est même élu album de l'année. Une brèche est ouverte au sein du prestigieux mur de l'industrie musicale anglaise : il reste désormais aux autres têtes d'affiches de la scène électronique française à le franchir. - Étienne de Crécy
Alors qu'il est ingénieur du son dans un studio versaillais, Étienne de Crécy fait la connaissance de Philippe Zdar (futur fondateur de Cassius), qui participe à la création du premier album de MC Solaar dans le studio voisin. Les deux artistes fondent alors le duo Motorbass et sortent l'unique disque du groupe, Pansoul (1996), qui sera un immense succès en Grande-Bretagne et donnera une légitimité supplémentaire à la French Touch au pays de Blur et d'Oasis. La compilation d'Étienne de Crécy, Super Discount (1996), qui regroupe ses productions personnelles ainsi que des morceaux d'Air et d'Alex Gopher marquera de même durablement les esprits tout en popularisant la house française aux yeux du grand public. Le premier album entièrement personnel de l'artiste attendra lui l'année 2000 pour paraître. - Dimitri from Paris
Influent animateur des sessions funk et électro de Skyrock puis house chez NRJ à la fin des années 1980, le dj Dimitri from Paris, lui aussi façonné par les influences électroniques émanant de Chicago et de Détroit, est l'un des premiers artistes à avoir introduit des sonorités house en France. Son premier album Sacrebleu, sort en 1996 après des années d'expérimentations musicales. Preuve matérielle de la position ascendante du mouvement au milieu des années 90, 90% des ventes de l'album sont réalisées aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon. - Daft Punk
Après une décevante expérience punk au sein de l'éphémère groupe Darlin', les deux jeunes versaillais Bangalter et Homem-Christo découvrent le sampleur et la musique électronique, enfilent des casques de motards sur leurs visages juvéniles et fondent les Daft Punk qui, après avoir fait la première partie d'un concert des Chemical Brothers, décollent véritablement avec la sortie d'Homework (1997) et de ses tubes planétaires "Around the World", "Alive" et "Da Funk". Alliance de house, de techno et de funk, ce premier album se vend à plus de deux millions d'exemplaires à travers le monde, et donne définitivement ses lettres de noblesse à l'électro française. Le succès du groupe ne diminuera jamais, lui qui demeure aujourd'hui encore l'icône absolue de la marque "French Touch" à travers le monde entier. - Alan Braxe
Les portes ouvertes par St. Germain, par Motorbass et par les Daft Punk produisent de scintillants et dansants émules, parmi lesquels Alan Braxe, qui sort l'excellent single "Vertigo" en 1997, avant de participer à l'éphémère mais planétaire aventure Stardust. La production du single "Intro" en l'an 2000, composé avec son ami bassiste Fred Falke, marque définitivement l'empreinte de l'artiste dans le paysage électronique français et international, puisque le titre se vend à plus de 180 000 exemplaires à travers le monde et devient l'un des tubes de l'année à la fois en France mais également au Royaume-Uni. - Air
Également issus de Versailles comme bon nombre de membres de la scène électronique française, Jean-Benoît Duncktel, Nicolas Godin et leur groupe Air (acronyme de "Amour", "Imagination", "Rêve") connaissent un succès international avec la sortie de leur second album Moon Safari (1998), délire trip-hop et électro qui projette immédiatement le groupe sur le devant de la scène. Appuyé par un environnement graphique niché et personnalisé, Air capte l'attention de la réalisatrice Sofia Coppolla pour laquelle ils réalisent la bande-son de son premier long-métrage, Virgin Suicdes (1999), et avec qui ils ont régulièrement travaillé depuis, à l'image du groupe électro-rock français Phoenix, eux aussi issus de l'épicentre électro versaillais... - Mr. Oizo
Réalisateur des premiers succès commerciaux de Laurent Garnier, l'efficace travail de Quentin Dupieux, qui se cache sous le pseudonyme de Mr. Oizo, attire l'attention des producteurs de Levi's, qui confient à ce protégé de Michel Gondry la réalisation de sa prochaine campagne publicitaire, et termine de faire de la "French Touch" une marque glamour et porteuse d'une nouvelle idée de classe à la française. Le temps n'est plus à l'underground, et la house violente et épileptique de Mr. Oizo et de Flat Eric, la célèbre petite peluche jaune vitaminée qui sert d'égérie à l'artiste, propulsent le titre "Flat Beat" (1999) en tête des charts britanniques en vendant 1,6 million de singles en une semaine ! - Cassius
Après avoir participé à l'expérience Motorbass avec Étienne de Crécy, Philippe Zdar s'associe au deejay BoomBass, avec lequel il avait déjà travaillé sur le morceau hyper house "Fox Lady", et fonde le légendaire Cassius, qui signe immédiatement chez Virgin Records. Le premier single du groupe, "Cassius 99" sort en 1998 et atteint le top 10 des charts britanniques. L'album 1999, associant funk, hip-hop et house, est un succès monumental en France et dans le Monde (plus de 250 000 ventes), au point d'être nommé aux victoires de la musique 2000. Le groupe prendra un virage résolument rock quelques années plus tard, évolution matérialisée par le monumental tube quasiment électro-rock "Toop Toop", de 2006. - Alex Gopher
Familier de Jean-Benoît Duncktel et de Nicolas Godin d'Air, ainsi que d'Étienne de Crécy, avec lesquels il collabore sur plusieurs, ce boulimique de musique et amateur à la fois de hip-hop, de new wave, de rock and roll ou d'électro, Alex Gopher sort de nombreux EP dans les années 1990, parmi lesquels Est-ce Une Gopher Party Baby ? ou Gordini mix. Il atteint véritablement la notoriété par le biais de The Child, où il sample et électronise le morceau de Billie Holiday "God Bless The Child". - Benjamin Diamond
Avec Thomas Bangalter des Daft Punk et Alan Braxe, Benjamin Diamond fonde en 1998 le passager groupe Stardust, qui compose l'immense tube house "Music Sounds Better With You" (sur lequel il pose sa voix), qui fait bouger les foules et les dance-floor du monde entier lors de l'été 1998, et même bien au-delà. Le son demeure aujourd'hui l'un des classiques absolus de l'électro française de la fin des années 90. Le premier album solo de Benjamin Diamons Strange Attitude (2000), produit quelques mois plus tard et qui dérive vers une électro-pop intimiste et très personnelle, est considéré de même comme un grand standard de la marque "French Touch". - Bonus : Laurent Garnier
Bien qu'il conteste l'assimilation de son oeuvre à la French Touch et qu'il demeurera marginalisé dans la gestion de sa carrière, dans la mesure où il estime que le mouvement n'est qu'une invention médiatique et pas une réalité en soi, Laurent Garnier fait incontestablement partie de ceux qui ont introduit la musique électronique en France, en essayant de transposer à la fin des années 1980 l'esprit musical des raves-party britanniques sur le territoire hexagonal. Il sera alors l'un des premiers à mixer les références de la house et de la techno de Chicago et de Détroit dans la capitale française, avant de s'essayer plus tard au nu jazz et à l'acid house, au sein des grandes places de la "night" parisienne des années 1990, au Palace, à la Loco ou au Rex. Son premier album, Shot In The Dark (1994), fera date et marquera, avec Boulevard, le début véritable de l'aventure électronique française.
Mais aussi Justice, Breakbot, Sébastien Tellier ou encore Sebastian, qui sont à considérer comme les membres d'une deuxième génération French Touch, à dissocier des "pères fondateurs".