Un jour, un ami qui ne boit pas m’a fait cette réflexion : « Les bars, ce sont des endroits ennuyeux où l’on dépense son argent pour obtenir une substance qui permet d’oublier qu’on s’ennuie ici. »
On ne peut pas lui donner tout à fait tort. Mais y’a toute une sociologie passionnantes, des bars.
Le Nemrod / Le Balto / Le Bar des amis
Un bon bar de piliers de bars où l’Amigo tourne à plein et où malheureusement Bélizaire n’a pas remporté la sixième course malgré les encouragements de Gégé. On y boira une anisette au comptoir tout en prenant la température des cahuètes à la pisse. Pas la peine de demander le prix du verre, il suffira de faire rouler des piécettes sur le comptoir en formica en espérant qu’elles ne tombent pas sur le carrelage à damiers.
Project Concept 74 / L'abattoir domestique / Le cock & Bock
Ou tout autre nom pseudo américanisant ou technophile. On y trouvera, pèle-mêle : de la musique lounge trop forte, des lumières éparses et très blanches, un juke box ou une borne d’arcade, un damier vintage refait à neuf, des murs noirs, des affiches vintage pour du voyage spatial, des gens rasés sur un côté avec les cheveux longs de l’autre, des gabardines the Kooples et des cocktails à 18 euros.
Le Venus / Recoin caché / Legs & Fun
Bar à hôtesses ou ancien bar à hôtesse. Derrière le velours rouge et l’ambiance jazzy se cache un piège à fric. Pourquoi n’y a-t-il que des hommes d’affaires bedonnants et des jeunes femmes blondes très aguicheuses ? A quel moment ai-je commandé du champagne ? Pourquoi ces miroirs au plafond, ces boiseries années 20 et ces lampes Josephine Baker ? Pourquoi cette grille tarifaire cachée ? Qui est cet homme qui revient de l’arrière-salle ? Qu’est-ce que je fous ici ?
Le Beverly / Rock'n'rolla / Les pierres roulantes
Glorieux passé de bar cool années 80. On venait là écouter les tubes américains diffusés sur MTV. On venait là pour traîner toute la journée au flipper en sortant du bahut, on venait là pour draguer la nénette, on venait là pour se prendre un p’tit noir au comptoir ou pour écluser les godets avant de rejoindre le Palace, c’était l’bon temps.
Plus personne ne vient, mais le patron est manifestement resté coincé à cette époque. Le bar n’a pas changé depuis.
Au fond du bar / La tournée du patron / Le Lou Pascalou
Bar d’alcoolo gentrifié : on a gardé le décor intact et on joue la carte de la mixité. Playlist world ou Manu Chao, Rita Mitsouko trop forte et indicateur de niveau sonore. Aux murs, les créations affreuses d’une artiste locale – se renseigner au bar si l’on désire acheter. AG culturelles, flyers partout, anciennes Unes de Charlie dans les chiottes au milieu de tags ironiques. Le prix de la bière a sextuplé en 10 ans, mais les tuyaux de la tireuse n’ont toujours pas été changés. Les patrons se frottent les mains. La terrasse est l’endroit où le plus de clopes sont taxées au cm² de France.
Vinifier / Vino divino / Vintamarre
Bar à vin, tables hautes, petites planches chères de produits du terroir. Chaque produit a son appellation compliquée, chaque produit a une provenance. Je vais vous prendre un verre de Château Merival, sans savoir ce que c’est, juste sur le prix. Où mettre son manteau sur les tabourets hauts ? Partout, aux murs, des bouteilles, des centaines, des milliers de bouteilles. Gens chauves et barbus, ça travaille dans la pub, on se détend. Le pain vient de la boulangerie bio à côté. On a un partenariat.
Le Rey / Le cardinal / Le Mérimée
Un bar à touristes, un bar de place. On les reconnait : y’a un haut-vent rouge, une ardoise à l’entrée soi-disant changée chaque jour, des écritures en lettres d’or, une grande terrasse vitrée, l’intérieur est simple mais propre, les serveurs sont en costumes. On mange mal à la brasserie et les boissons sont un peu chères. On prendra probablement un tartare dans un brouhaha qui se veut authentique. On prendra un demi de Côte du Rhône, et on se surprendra à prononcer ces mots : « ça ne déçoit jamais, le Côte du Rhône ».
Objectif Lune / Le Dylan / La Bébaisina
Bar rock tatto friendly. Patron arraché Iggy Pop à fond. Il fait sombre. Là, les shots ont des noms qui font peur : le demoniak, l’overdoz, on connait. Clientèle perfecto qui agite les cheveux. Joint et cocaïne : l’alcoolisme, c’est cool. Aux murs, des affiches de concerts, mais surtout de vieux films un peu érotisants des années 70, mais des affiches slovaques : c’est plus drôle. Pas de lunettes sur les chiottes, les vrais le font debout. Canapés en velours défoncés, tables basses, ambiance fin de siècle, on peut même sortir avec les verres parce que nik la police et no future.
La liberté / Le 54 / Le déglingo
Lieu de rencontre des anars soixantenaires encore en vie. Ils s’y retrouvent sur les coups de midi, midi trente, et refont le monde en détruisant tout et en dépensant leur pension d’invalidité dans des tonneaux de bières. Tracts partout, solidarité permanente pour toutes les causes du monde affichées au mur. Y’a un piano qui traîne au fond si quelqu’un veut pousser la chansonnette. On est bien, on est libre. Le patron prend pas la carte bleue, parce que si c’est pour donner des commissions à ces salauds de banquiers, merci mais non merci. Pas de chaises, des tables jamais lavées et constellées d’autocollants militants. Passée une certaine heure, on fume à l’intérieur.
Le O'Bryan / Le O'Neill / Le Hyde Out
Pub irlandais importé en France. Fléchettes, billards, grande salle au fond, lampes de bibliothèque qui pendent du plafond, radio tubes pop nostalgiques. Y’a du cidre à la pression et on met deux euros sur le pool pour prendre la partie d’après. Arrière-salle immense et boiseries moulées aux murs, population éclectique : personne n’a vraiment choisi de venir là. La bière, c’est de la pisse, sauf la Guinness, mais la Guinness n’est pas en happy hour. Des écrans diffusent en continu des événements sportifs que personne ne regarde. Accéder au bar, c’est la croix et la bannière. Mais on peut prendre un fish & chips. Partout, des mecs un peu bedonnants qui portent des chemises dont le col est d’une couleur différente que le reste.
Mieux vaut rester chez soi.