Il arrive assez régulièrement d’être expéditeur ou destinataire de ce que les scientifiques du monde entier appellent « un message de bourré ». Le message de bourré se distingue par son caractère inintelligible, ses propositions vagues, son horaire tardif et sa syntaxe hasardeuse. Petit passage en revue des signes qui ne trompent pas.
Le message arrive après 23h30
Mettons que tu aies moins de 45 ans et que tes amis ne soient pas de sérieux candidats à la cure de désintoxication : il y a toutes les chances pour que la personne qui t’a adressé ce message soit en train de boire du vin ou de la bière depuis un petit moment (disons 18h30), ce qui signifie par conséquent et en toute logique qu’elle est actuellement bourrée. Cette condition importante n’est toutefois pas déterminante pour tirer une conclusion car on pourrait aussi t’annoncer un simple accident de voiture ayant coûté la vie à toute ta famille (encore qu’un appel aurait été plus correct dans ce cas).
Ce message comporte des fautes étranges
On ne se parle pas des fautes usuelles de l’expéditeur, ni de celles causées habituellement par les difficultés des gros pouces à taper sur un clavier de téléphone avide de corrections inutiles. Non, les fautes habituelles sont gommées au contraire. Il s’agirait plutôt de fautes d’un autre genre – des fautes de syntaxe car les phrases sont trop longues ou tout simplement des mots impropres choisis à la place des autres. Dès lors, le risque alcoolique est fort.
Ce message précise à plusieurs reprises que son auteur ne l'a pas écrit bourré
Qui d’autre qu’une personne ivre prendrait le temps de préciser cinquante fois qu’elle n’est pas ivre ? Genre, est-ce qu’au boulot quand on vous demande de faire un truc vous précisez avant « Ouais ok je suis pas bourré, t’inquiète ! » ? Non. Vous ne le faites pas, parce que vous n’êtes pas ivre. Alors que si vous étiez ivre…
Ce message est long. Très long.
Genre c’est un pamphlet le truc, une sorte de déclaration des droits de l’homme en SMS, le genre de trucs qui aurait coûté bonbon en forfait il y a 10 ans et que la plupart des utilisateurs d’Internet auraient gratifié d’un TLDR (too long didn’t read) parce qu’en fait au bout d’un moment si tu veux lire un bouquin il y en a dans ta bibliothèque.
Ce message se veut une parole de vérité vraie, et c'est d'ailleurs écrit
« Tu vas croire que je suis bourray mais pas du tout, en fait je t’écris pour te dire une vérité vraie qui m’a frappée, qu’en fait et bah dans ce monde qui va à 100 à l’heure je crois qu’il faut se recentrer sur les choses qui comptent et toi tu comptes car tu es un bibimbap, en fait. »
Vérité vraie qu’on vous dit.
Ce message ne veut strictement rien dire, mais avec beaucoup de mots
Si on reprend le message d’avant, on aurait pu le résumer comme suit : « J’te kiffe. » Mais globalement, tourné comme ça, ça ne veut rien dire et surtout il y a une inflation verbale digne de l’économie d’un pays africain corrompu, mais en mots. « Plus il y a de mots, plus il y a de verres », comme dit l’adage que je viens d’inventer.
Ce message émane d'une personne qui habituellement ne t'envoie pas ou plus de messages
Par exemple (au hasard) : ton ex, un mec de la fac bizarre à qui tu as parlé une fois, ton collègue qui te parle beaucoup trop près, ton frère ou ta sœur avec qui tu es en froid, un ami avec qui tu es fâché, un conducteur de bus (attention au syndrome Emile Louis, c’est dangereux).
Ce message fait suite à des appels répétés et réguliers
Du genre soixante-cinq appels en l’espace de 10 minutes, passés entre 23h15 et minuit et demi. Ces appels ayant eux-mêmes été l’occasion de laisser des messages vocaux (« des » et pas « un » car la logorrhée écrite se répercute sur l’oralité et l’espace disponible sur un seul message vocal n’était pas suffisant pour que le locuteur puisse dire tout ce qu’il avait à dire, c’est à dire beaucoup beaucoup de choses inutiles.)
Ce message arrivé tard semble ne pas prendre en compte le fait qu'il est tard
Ainsi, il est très souvent suivi d’un deuxième message, quelques minutes plus tard, lequel dit en substance « tu réponds pas ? Tu boudes ? »
Non, tu ne boudes pas. Si tu ne réponds pas, c’est que tu dors, bordel, il est trois heures du matin.
Cas extrême : le message est court, concis, mais drôle à ses dépens
Par exemple, dans le cas où l’autre partie de votre foyer s’apprêterait à rentrer un peu tard après une sortie en solitaire :
« Ke t’aim, ke prend un taxo. »
Pas de doute, c’est du sac à vin.
C’est mal l’alcool les gars.