Il y a, au fin fond de nos villages, des bars qui semblent figés dans le temps mais qui gardent une certaine dignité. Et il y a, partout ailleurs, les rades crasseux, ceux qui offrent à leur clientèle une expérience... authentique... et inoubliable. N'ayons pas peur de le dire, nos sordides bouges sont une composante importante de la fameuse exception culturelle française. On parie qu'un jour, ils vont nous classer tout ça au Patrimoine Mondiale de l'UNESCO, au même titre que nos vignobles ou notre gastronomie ? Nous on s'en plaindra pas : y'en a marre des "O'Sullivan", des "Shooter's" ou des "Black Dog" ; nous c'est des "Balto", des "Chez Tonton" ou des "L'Attirail" qu'on a envie de mettre à l'honneur aujourd'hui. 10 petits signes qui prouvent que vous venez d'entrer dans l'un de ces fameux cafés.
- Le sol colle sous vos pieds
Votre premier contact avec ce petit coin de paradis est pour le moins poisseux sous la semelle, ce qui le rend d'emblée très attachant. Au sens propre. Certes, si vous aviez fait vos lacets, votre chaussure ne serait pas restée collée au sol, et vous ne vous auriez évité à votre chaussette d'entrer en contact avec l'épaisse pellicule de gras / saleté / poussière qui macule le sol. M'enfin quand même. - Le comptoir colle sous votre coude (aussi)
En bon briscard que vous êtes, vous vous accoudez au comptoir, et cette fois c'est le coude, votre principal outil dans votre insatiable quête de gros rouge qui tâche, qui vit cette expérience sensorielle hors du commun. Plaqué au zinc, donc, en même temps que tâché par les innombrables gouttelettes recouvrant celui-ci, et qui constituent d'ailleurs un véritable échantillon représentatif de la carte. - Une odeur âcre inimitable y règne
Après votre sens du toucher, c'est votre odorat qui est désormais sollicité. Dès l'entrée, vos muqueuses nasales sont assaillies par une (divine) odeur de bière éventée, de sueur et de pet froid (parfois tiède), qui donne envie de se laisser aller... Le problème c'est que si vous vous laissez aller, vous risquez de vous casser. Sur le champ. - Les habitués patibulaires (mais presque)
Jeunes ou moins jeunes (mais le plus souvent carrément vieux) les piliers de comptoir (ceux qui serrent la louche au patron en entrant) ne sont pas forcément des modèles d'ouverture d'esprit, de sympathie, ou de bonne santé. Le teint aussi jaune que leurs dents tachées de tabac, ils fument à l'intérieur, au calme, comme au temps béni où "y'avait pas toute ces conneries de loi Evin ou j'sais pas quoi. Et on était 'hachement plus peinard ! Tu m'en remets un petit René ?" - La déco y est "personnelle" et "participative"
Ce qui implique que les murs (défoncés) sont couverts d'affiches de concerts dont les groupes (absolument inconnus) ne tournent même plus, d'autocollants, collés par les clients avinés, revendiquant toute sorte de slogans improbables ("L'alcool ne résoudra pas nos problèmes mais le lait non plus") et d'un ou deux cadres, la petite touche du patron, mettant à l'honneur Zinedine Zidane, Georges Brassens ou Patrick Sébastien selon la sensibilité dudit taulier. - La musique y est... "personnelle" et "participative" également
Pas de playlist à la courbe élaborée, d'ambiance musicale travaillée et cohérente, ou de soirée à thème. Ici, la programmation musicale est dictée par l'humeur du patron, et soumise à la vindicte populaire des habitués. C'est souvent ceux qui gueulent le plus fort qui obtiennent gain de cause, oui. "Nom de dieu René, arrête de nous faire chier avec ta musique de jeunes, mets nous un bon vieux Sardou, meeeeeerde !" - Le patron s'appelle René (ça fait 2 fois qu'on le dit, merde, suivez un peu...)
Ou Jean-Mi, Jean-Louis, Bernard. Parfois Serge, ou Marcel. Enfin un nom qui sent l'encre à tatouage (ça a une odeur l'encre à tatouage ?), la moustache et le tabac froid. Le prénom d'un mec (approchant le quintal) à qui on la fait pas, à qui on a même peur de passer une commande, tant il nous signifiera par sa mine fermée et son non-sourire absolu que ça le fait chier de nous servir. Mais sympathique quand même, au fond (oui, là ça ressort pas particulièrement, mais faut imaginer un peu...). - Les toilettes sont relativement "minimalistes"...
Messieurs, les lieux d'aisance de ne comportent pas d'urinoirs, ce qui est un coup dur pour votre maladresse et votre taux d'alcool relativement élevé. Mais ça passe. Pour vous mesdames, en revanche ça se corse. Ledit "petit coin" n'est en réalité constitués que d'UNE UNIQUE toilette. Mixte donc. Et vous ne savez que trop bien ce que cela signifie... - ...mais pour autant extrêmement "hautes en couleurs"...
Après 11 minutes de queue, vous entrez, pour découvrir des murs recouverts (avec goût) d'autocollants passés et déchirés, ainsi que de (subtils) "traits d'esprits" tracés directement au marqueur : "0689567489 je susse gratos". A l'odeur vous seriez prêt à parier qu'il s'agit de pisse... A moins que ce ne soit cette fuite sur le côté, comment être sûr ? Qu'il s'agisse ou non de toilettes à la turque, vous ne pouvez évidemment pas vous asseoir tant la cuvette a été inondée de pisse par les porcs avinés avec lesquels vous avez fait la queue quelques minutes auparavant, partageant ainsi leur intelligence ("Putain, j'ai tellement envie que ça ne tiendrait pas dans un bocal !") et de leur finesse ("La vache, je suis saoul comme un polonais moi. A 4 grammes et demi, j'me tire !"). En guise de bouquet final, au moment où vous commencez votre affaire, la lumière s'éteint, et vous êtes donc contraint d'agiter les bras (toujours en pissant, oui) pour redéclencher le détecteur de mouvement. Ah quel folklore... - Le Prix des consos
Encore affichés en Francs parfois, au marqueur, sur une vieille plaque de plastique recensant toutes les boissons possibles et imaginables (dont à peine un quart est réellement disponible à la vente) vous vous croyez véritablement à une autre époque tant les prix sont bas. Vous aviez perdu l'habitude de payer votre pinte en dessous de 5€, avouez-le, et c'est l'une des raisons pour lesquelles vous vous trouvez accoudé au zinc de ce charmant troquet... Alors cessez de tordre du nez, tout cela a quand même du bon...
Sources: Quelques années à user les zincs et à lever le coude...