Si le temps est à la défiance envers les personnalités politiques (une tendance que l’avalanche d’affaires n’arrange pas), tous les tenants de l’action publique ne sont pas, en la matière, logés à la même enseigne. Pour diverses raisons, les Français se sont désignés, le temps aidant, des figures tutélaires qui ont marqué la France et dont la probité n’est pas à questionner. Si on les mettait tous ensemble (peut-être pas les morts, hein), on en ferait un joli gouvernement.
Simone Veil
Son discours lors du vote de la loi autorisant l’avortement a fait date, permettant à Simone Veil de s’installer durablement en figure tutélaire de l’émancipation des femmes et de la modernité. Aucune casserole, rien ; une incarnation de l’engagement pour la cause plutôt que pour le pouvoir.
Robert Badinter
Même topo, mais à gauche. Avocat militant contre la peine de mort devenu ministre de la Justice du premier gouvernement socialiste de la V°, Badinter a fait avancer l’histoire en supprimant la peine de mort et en réformant le système judiciaire. Sans compter sur le discours du Vel d’Hiv. Personne ne songerait à l’attaquer aujourd’hui.
Philippe Seguin
Très critiqué en son temps, notamment pour son engagement à l’encontre de Maastricht, Seguin est devenu à la droite française ce que Rocard est à sa gauche, un éternel second incarnant la droiture et l’engagement moral, trahi par les siens en 2001 lors des municipales à Paris, dont chacun revendique une part d’héritage. Son travail à la Cour des comptes, jusqu’à sa mort, en 2010, a aussi grandement contribué à redonner du pouvoir à l’institution.
Michel Rocard
Même topo pour Rocard, tué par Mitterrand et qui n’aura jamais réussi à prendre le PS. Chef de file d’une génération de réformateurs socio-démocrates, souvent plus en phase avec son temps que ses homologues, il a vu (façon de parler) son parcours unanimement salué à sa mort, en 2016. Il est étonnant de voir aujourd’hui que tous les cadres socialistes se revendiquent de sa pensée tout en s’affrontant.
Le général de Gaulle
Loin des débats sur le coup d’Etat permanent, loin de la remise en cause d’une personnalité égomaniaque, loin de la dénonciation d’un homme qui aurait gouverné pour qu’on l’aime, le général de Gaulle incarne aujourd’hui le libérateur et le pacificateur, celui qui est parvenu à apaiser les tensions françaises sans verser dans la dictature. Son héritage est aujourd’hui récupéré à gauche à une époque où les Français semblent espérer l’irruption d’un homme providentiel.
Jean-Louis Debré
Fidèle gaulliste et chiraquien ayant laissé sa marque au perchoir de l’Assemblée nationale, pur produit du gaullisme et de l’élite, honnête, dont la carrière s’est achevée à la tête du Conseil constitutionnel, Debré a coché toutes les cases, y compris celle de l’amitié avec Chirac dont la popularité est au plus haut. Qui s’aventurerait à le critiquer ? Le mec écrit même des romans policiers pour se marrer.
André Malraux
« Entre ici Jean Moulin ». Si vous ajoutez La condition humaine à tout ça et la quasi-création du Ministère de la culture et de la politique culturelle en France, vous obtenez un homme que personne ne s’aventurerait à critiquer réellement.
Lionel Jospin
La cruauté de sa défaite en 2002 et sa fidélité à l’engagement pris de ne plus revenir en politique ont assis sa réputation d’homme irréprochable un peu trop tendre pour le système.
Claude Evin
Associé à la loi du même nom et engagé depuis des années sur les questions de santé publique, Evin a marqué son époque en tenant tête aux lobbys du tabac.
Dominique de Villepin
Aujourd’hui retiré de la politique, Villepin reste essentiellement associé au discours de la France à l’ONU condamnant les velléités militaires des Etats-Unis en Irak. Sans doute le discours le plus marquant des 30 dernières années.
Y’en a des biens.