Salut mes petites gousses d’ail à la provencale (rien de très original c’est ce que je viens de manger pour mon goûter et maintenant ça sent mauvais dans ma bouche). Vous qui aimez tant les mots, compatriotes de la langue française et adulateurs des racines étymologiques on se penche aujourd’hui sur les mots soudés, ou plutôt « agglutinés » de la langue.
Eh oui, il fut un temps où ces mots étaient plusieurs mots et puis par habitude (ou par flemme) on en a fait un seul mot. Vous allez voir c’est non seulement passionnant c’est aussi déroutant (un peu comme un mauvais panneau de signalisation qui vous indiquerait la possibilité de faire demi-tour alors que vous êtes sur une autoroute, un truc vraiment déroutant quoi).
Chandail : agglutination de "marchand d'ail"
Votre réaction à coup sûr : « MAIS NAN MAIS WHAT »
Le chandail n’est autre qu’une abréviation d’un marchand d’ail, nom que l’on donnait au XIXe siècle aux ouvriers qui bossaient au marché de légumes aux Halles. Les gars portaient tous le même genre de tricot qui par métonymie a fini par les désigner jusqu’à ce qu’un fabricant de tricot ne nomme une bonne fois pour toute le chandail pour désigner ses pull bien chauds.
Gendarme : agglutination de "gens d'arme"
Votre réaction à coup sûr : « MAIS NAN MAIS PINCEZ-MOI JE DOIS ETRE EN TRAIN DE RÊVER CELA NE PEUT ÊTRE. »
Bon en fait c’est assez logique si on y pense bien, l’étymologie nous rappelle qu’il y a des gens qui ont le droit d’avoir des armes sur eux et qui n’en font pas souvent bon usage. Historiquement les « gens d’arme » désignent d’abord des soldats puis des cavaliers.
Le lierre : agglutination de "le ierre"
Votre réaction à coup sûr : « REALLY OH MY GOD I CANNOT EVEN REACT IN FRENCH BECAUSE IM SO SHOCKED BY THIS INFORMATION. »
Bon on parle peut-être un peut moins souvent du lierre dans la vie de tous les jours je vous le concède (mais c’est bien dommage je pense qu’on gagnerait à faire un point sur l’actu du lierre au quotidien). Le lierre vous savez c’est cette plante grimpante qui ne semble connaître aucune frontière par delà les murs des maisons.
Eh bien cette plante était originellement désignée par le mot « ierre » (du latin « hedera » qui vient du verbe « hendere » pour dire « prendre, saisir »). Comme c’était chiant de dire « le ierre par-ci », « le ierre par-là » on a fini par dire « le lierre » afin de satisfaire tout le monde (j’invente totalement cette origine causale, ne la mettez pas dans vos dissertations svp).
Il y a belle lurette : "lurette" est une agglutination de "belle heurette"
Votre réaction à coup sûr : « MAIS ALORS LÀ NON VRAIMENT CEST TROP VOUS VOUS MOQUEZ DE MOI MA PAROLE. »
On vous avait déjà parlé de cette expression ébouriffante dont un des mots n’existe que dans une seule expression (allez lire le top ce sera plus clair). Bon on reprend. La lurette n’a pas vraiment de sens si ce n’est qu’elle résulte d’une fusion cocasse de « la » et de « heurette » ou parler d’une petite heure. Paradoxalement l’expression « il y a belle heurette » aurait voulu dire « il y a une petite heure » et non il y a des lustres, sens qui lui est pourtant consacré depuis le XIXe siècle.
Alligator : agglutination de "el lagarto"
Votre réaction à coup sûr : « WOW MAIS ARRÊTEZ-TOUT CETTE INFORMATION ME FAIT ENCORE PLUS PEUR QUE L’ALLIGATOR LUI-MÊME JE KROUA. »
Bon ok les man on triche un peu puisqu’on va piocher ce mot chez nos voisins hispaniques mais avouez que c’est tout de même cocasse cette affaire. On a l’expression espagnole « el lagarto » qui veut dire « le grand saurien » et qui se fusionne pour devenir un « alligator » en francesco. Fascinante langue française pleine de mystères.
Alaise : agglutation de "la" et "laize"
Votre réaction à coup sûr : « ÇA ALORS C’EST VRAIMENT BEAUCOUP TROP FORT DE CAFÉ. »
Mettons-nous d’accord cette expression, personne ne l’écrit pareil. La bonne nouvelle c’est qu’au vu de son histoire étymologique, on serait bien en droit de l’écrire comme on veut : « alèze » que « alaise » ou « alaize » (ou allhézeu tant qu’on y est). Tout vient d’une erreur d’interprétation. La laize au départ désigne « largeur », on lui retient même son acceptation technique désignant « une largeur d’étoffe entre deux lisières ». Par déformation et agglutination, l’alaise a fini par désigner ce tissu qu’on met sur le matelas avant le drap, essentiellement pour parer à nos fuites urinaires nocturnes. Aléz bléz.
Larbin : agglutination de "le habin"
Votre réaction à coup sûr : « NO ME DIGAS ES INCREIBLE MA HABLO MUCHO EL ESPANOL PORQUE ESTOY MUY SURPRISATA. »
Qu’est-ce qu’un « habin » vous demandez-vous sans aucun doute ? Eh bien en argot le habin et est un chien. S’il n’est pas du tout recommandé de désigner quelqu’un ni par le mot chien, ni par le mot larbin, vous serez content d’apprendre qu’ils veulent tout deux dire la même chose : une manière péjorative de désigner une personne servile.
Lapalissade : agglutination venant du nom "La Palice"
Votre réaction à coup sûr : « ALORS JUSQUE LÀ ENCORE CA ALLAIT MAIS LÀ VRAIMENT JE SUIS MEURTRIE D’ABASOURDISSEMENT. »
Mais qui est la Palice ? mais que fait la police ? allons faire un tour dans le passé parce que cette expression mérite qu’on l’utilise un peu plus qu’à son habitude. Une lapalissade déjà pour rappel c’est une vérité évidente ou comment enfoncer une porte ouverte. On dit autrement une vérité de La Palice, en référence au seigneur de La Palice, petit nom de Jacques II de Chabannes et accessoirement maréchal de François Ier.
Non pas que le type ait inventé le concept de parler pour ne rien dire, on doit en fait cette expression à une chanson que ses soldats avaient écrit en son honneur « Hélas, s’il n’était pas mort, Il ferait encore envie ». Sauf qu’à l’époque on écrivait les « s » et les « f » un peu pareil. Les paroles qui sont restées étaient nettement moins poétiques et franchement peu dégourdies « s’il n’était pas mort, il serait encore en vie ». Et voici que naissait la lapalissade.
Etre en nage : agglutination de "être en age"
Votre réaction à coup sûr : « MAIS NON MAIS ALORS LÀ C’EST PAS POSSIBLE VRAIMENT MAIS NON MAIS ALORS. »
Bon calmez-vous il ne faut pas entendre ici le mot « age » comme « âge » mais comme l’ancienne forme de « eau ». Etre en age désignait alors logiquement « être en eau » c’est-à-dire transpirer.
Tante : agglutination de "ma t-ante"
Votre réaction à coup sûr : « OMG C’EST COMPLÈTEMENT FRAPPADINGUE JE REGARDERAI PLUS MA ANTE JAMAIS PAREIL. »
On pourrait croire que « ta ante » ça ne veut rien dire, mais c’est une grave erreur. Figurez-vous que la soeur de votre père ou de votre mère se disait d’abord « ante » (ça vient du Picard, et pas le rayon surgelé). Le « t » s’est mystérieusement inséré dans le mot certainement car le possessif « ma ante » était moins naturel que « ma t-ante ».
Nombril : agglutination de "un ombilic"
Votre réaction à coup sûr : SMILEY DE VISAGE HALLUCINÉ.
Agglutination bien connue de la langue française mais qui surprend toujours autant. Vous n’êtes pas sans savoir que le nombril entretient un lien direct avec le cordon ombilical. Eh bien vous comprendrez alors pourquoi le mot s’utilisait alors sous la forme de « ombilic » mais qu’à force de dire « un ombilic » les deux mots se sont agglutinés pour former le mot « nombril ». Et si vous voulez en savoir plus sur cette zone mystérieuse je vous renvoie naturellement mais les différents types de nombrils et ce que ça veut dire de toi.
Etre dupe : agglutination de "être de huppe"
Votre réaction à coup sûr : « MAIS FAITES-MOI UN IRM TELLEMENT MON CERVEAU EST TOUT RETOURNÉ. »
On a vraiment le chic en français pour mettre la misère à certains animaux qui n’ont rien demandé. Ainsi la huppe a servi à désigner des gens un peu teubés. Voilà comment le mot « dupe » s’est formé à partir de la huppe pour qualifier une personne naïve et un peu con-con.
Maintenant : agglutination de "main et tenant"
Votre réaction à coup sûr : « J’AI PLUS LES MOTS POUR EXPRIMER MON ÉPOUSTOUFLEMENT ALORS QUE CE MOT N’EXISTE MÊME PAS. »
Croyez-le ou non mais avant d’être un adverbe, « maintenant » était surtout le participe présent de « maintenir ». Ce qui se passe maintenant, c’est donc tout naturellement ce qui se passe « pendant qu’on se tient la main ». Parfois il y a des mots dont le sens était sous nos yeux depuis le début, non ?
Lilles/Lorient...
Votre réaction à coup sûr : « ELECTROCHOC DE MON CERVEAU YA PAS D’AUTRES MOTS POUR DÉSIGNER MON ÉTAT CÉRÉBRAL ACTUEL. »
Autant de villes dont on se dit « tiens mais pourquoi elles ressemblent grave trop à d’autres mots genre « L’île » ou « L’orient ». Eh bien parce que ce sont bel et bien leurs origines étymologiques.
Dans le cas de Lorient, la ville tire son nom du chantier naval installé à Port-Louis en 1664. Le premier navire à en sortir fut nommé le Soleil d’Orient et donna son nom à la ville, Lorient.
Nagère : agglutination de "il n'y a guère"
Votre réaction à coup sûr : « OK EN VRAI CA VA JE LE SAVAIS DÉJÀ. »
« Naguère » fait partie des mots sur lesquels on se plante tout le temps dans l’étymologie. Fusion de l’expression « il n’y a guère », le mot aurait du désigner « il n’y a pas longtemps » et bizarrement c’est l’inverse qui est resté dans les usages. Comme quoi, on peut parfois faire n’importe quoi avec la langue française.
J’aurais aussi pu vous parler de la dinde (qui vient de quel pays selon vous ?), de l’expression aigrefin (qui est aigre et qui a faim), du pourboire ou encore du bonheur qui sont tous des résultats d’agglutination mais il est l’heure pour moi d’aller faire un bain de bouche donc on en parlera dans un prochain numéro.
Sachez toutefois que si je vous raconte tout ça c’est parce que je l’ai lu dans un ouvrage qui est désormais ma bible (personnellement je me suis tatouée le visage d’Alain Rey à l’arrière du genou) :