L’éthologie est une science consistant à étudier le comportement animal pour mieux le comprendre. Au premier rang des terrains d’études des éthologues, il y a bien sûr la question de la pensée, de l’intelligence animale. On pourrait y voir au choix un champ de recherches pour néo-hippies ou l’observation d’instincts raisonnés a posteriori, mais il s’agit en réalité d’un sujet passionnant pour la compréhension du monde et des hommes. A défaut d’être nous-mêmes éthologues, nous vous livrons un état des lieux des recherches sur les pensées animales, leurs conceptions du monde et leur manière d’exprimer une intelligence propre.
Les animaux ont de l'intelligence et de la cognition
Les animaux sont tous construits plus ou moins comme nous. Il n’existe pas, au sein des cerveaux humains, de molécule supplémentaire ou différente de celles que l’on trouve dans les cerveaux des animaux. Cela sous-entend qu’il n’est pas en l’état possible de repérer une caractéristique cognitive qui serait propre à l’homme. De là, on est certain d’une chose : les animaux pensent le monde, de la même manière que nous le pensons, mais différemment. Cette parenté de fonctionnement vaut pour les mammifères (on a ainsi pu repérer en soumettant des chiens à des IRM que l’imminence d’une récompense chez eux mobilisait les mêmes zones cérébrales que l’arrivée d’un gain financier chez nous) que les insectes : on pense que certains processus cognitifs préexistent chez tout le règne animal, notamment des concepts tels que « identique » ou « différent », comme s’il s’agissait de principes préencodés dans la mécanique neuronale et qui n’ont rien à voir avec l’acquisition des savoirs.
La question du langage
Pendant des années et des années, on a considéré qu’il n’existait pas de langage animal que ce qui distinguait principalement l’homme de l’animal était précisément cette question du langage. Aujourd’hui, les recherches pensent tout à fait différemment. Chez de très nombreux animaux très distincts, on a repéré des structures répétées du langage. Certains cris de singes ont une fonction spécifique, visant notamment à alerter sur des dangers (des chercheurs ayant placé des hauts-parleurs dans la forêt diffusant différents cris correspondant à différentes menaces ont vu les singes les interpréter différemment). Ces langages ne sont pas perceptibles par l’homme au premier abord, mais cela ne signifie pas qu’ils n’existent pas. On sait par exemple également que les dauphins peuvent adapter leurs cris pour être mieux compris en groupe. A l’inverse, on sait que les animaux peuvent percevoir des distinctions dans le langage humain (c’est notamment le cas des éléphants d’Afrique qui réussissent à distinguer la lange parlée par deux tribus différentes, l’une les chassant et l’autre non). De fait, la quasi totalité des études portant sur le langage des animaux vise à nous faire nous, humains, comprendre par les animaux et non l’inverse.
Pourtant, on pense que la danse des abeilles ou les échanges entre oiseaux constituent un langage. Et si le langage animal n’est pas structuré comme le nôtre, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas, ni d’ailleurs qu’il est incompatible avec l’idée de pensée.
Les animaux pensent sans mots
Sans mots, cela ne signifie pas sans langage. Quoiqu’il en soit, on se rend compte que certains animaux peuvent développer des concepts sans forcément les nommer. Dès lors, le langage ne devient pas un élément essentiel de la pensée. Cela paraît absolument incompréhensible pour nous dans la mesure où l’essentiel de notre espace mental, de notre vision du monde, est bâtie sur le langage et la désignation des choses par des mots que nous partageons. Mais les animaux peuvent avoir une vision du monde également riche sans pour autant nécessiter la parole. Le langage n’intervient que comme un décorum dans la pensée, la sensation, la fabrication d’outils, etc.
Le perroquet gris du gabon peut même imiter notre langage.
La transmission de la connaissance
Une autre manière de penser l’intelligence animale, c’est de la mesure à l’aune de la transmission des connaissances. Au final, on pourrait se dire que l’intelligence humaine est collective et qu’elle est donc le fruit d’un savoir accumulé. On n’aurait pas pu fabriquer l’iPhone sans avoir découvert préalablement plein de trucs. La transmission serait donc la clé de la pensée et de l’intelligence. Or, des phénomènes similaires sont observés chez les animaux. On sait par exemple que les outils utilisés par des chimpanzés sont fatalement le fruit d’une transmission de savoirs plus restreints qui ont permis d’arriver à la fabrication des outils actuels : ils utilisent ainsi trois bâtons pour récupérer du miel. Le premier sert à percer la ruche, le deuxième sert de cuiller, le troisième est utilisé pour tuer les abeilles. La complexité de pareille organisation laisse entendre qu’il y a eu transmission de connaissance. De la même manière, on a pu observer que des bourdons qui avaient appris une technique pour mieux butiner en laboratoire étaient capables de transmettre de savoir-faire à des bourdons qui, eux, n’avaient pas été exposés à cette technique.
L'intelligence machiavélienne
Là encore, l’image d’Epinal des animaux comme des éternels innocents prend un coup. La capacité à tromper, à mentir, à ruser n’est pas du tout le propre de l’homme. On le voit d’ailleurs régulièrement chez les chiens et les chats qui peuvent minauder pour obtenir ce qu’ils veulent. En tout état de cause, une étude déclarative menée chez des centaines de primatologues a permis de référencer des milliers et des milliers de comportements de ce type chez les animaux. Un exemple est particulièrement parlant. Après s’être accouplée avec un jeune mâle « hors mariage », pour ainsi dire, une femelle chimpanzé a été surprise par le mâle Alpha. Dès lors, elle a simulé des cris de douleurs pour laisser entendre qu’elle était en réalité en train d’être violentée par son « amant ». Une démarche de tromperie visant à avoir la paix. C’est incroyable.
La méta-cognition
Un mot bien compliqué pour une idée tout simple : nous savons que nous savons. Nous savons que nous savons parler français. Nous savons que nous savons cuisiner telle chose et pas telle autre et nous savons que nous savons nos tables de multiplication. Cette méta-cognition est à la base de la transmission de savoirs, mais elle est surtout un outil précieux pour mobiliser nos connaissances en temps utile. Les animaux partagent-ils pareille faculté ? A priori, oui. Les études menées notamment sur les primates et les dauphins montrent que ces deux espèces partagent l’existence de réseaux neuronaux complexes qui entrent en compte dans le processus de méta-cognition et qui sont très similaires à ceux mobilisés chez l’homme.
Comment se matérialise le monde mental de l'animal ?
C’est finalement toute la question. Notre monde mental, encore une fois, consiste à mettre des noms sur des choses que nous percevons. L’animal peut-il faire la même chose ? En l’état actuel des recherches, on serait bien en peine de décrire avec précision la manière dont un animal perçoit le monde, d’abord parce que nous ne pourrions que penser depuis notre statut d’homme, ensuite parce que cette question du monde mental recouvre très probablement des dizaines et des dizaines et des dizaines de réalités différentes en fonction des espèces et des individus. Nous ne sommes pas même capables aujourd’hui d’être sûrs que nous voyons tous, nous humains, les couleurs de la même manière. En tout état de cause, on sait que les mêmes stimuli extérieurs provoquent des réactions cérébrales propres chez les animaux mais qui activent des systèmes très similaires aux nôtres.
L'intelligence collective des insectes
C’est sans doute la question la plus complexe quand on étudie l’intelligence animale. L’intelligence collective des insectes (fourmis, abeilles, etc.) qui vivent en collectivité relève-t-elle de l’intelligence réelle ou s’agit-il d’une simple reproduction de comportements préprogrammés ? Le problème, c’est que les insectes en question de ne disposent pas d’un système nerveux central et d’un cerveau comparables aux nôtres. Néanmoins, on estime qu’il y a une forme d’intelligence certaine puisque ces animaux ne sont pas simplement dans la reproduction robotique d’un geste mille fois imité. De fait, ils s’adaptent en permanence aux défis et aux obstacles. Les insectes, comme les autres animaux, sont capables de changer de stratégie au cours d’une action. Cette adaptabilité est un signe supplémentaire de prise en compte des contraintes extérieures pour aller au bout d’un projet et donc d’une capacité de projection dans le futur immédiat (cette chose m’empêche de réaliser ce que je veux, je fois la battre ou la contourner pour continuer mon projet). Pour presque tous les chercheurs, c’est un signe clair et fort d’une intelligence réelle et d’une projection du soi dans le monde.
Les notions d'instinct et de dressage
Aujourd’hui, la notion d’instinct est mal pensée car elle est placée en opposition légèrement magique à celle de l’intelligence. Au contraire, l’instinct pourrait plus justement correspondre à des précodifications neuronales qu’on évoquait précédemment visant à transmettre biologiquement les concepts de base. Sa connaissance serait donc une forme d’intelligence antérieure et non simplement un mécanisme de reproduction, de dressage. Car cette question rejoint celle du dressage : un animal à qui l’on a appris un certain nombre de choses dans le cadre d’une cohabitation avec les humains ou en laboratoire a-t-il développé une intelligence différente ou se contente-t-il de reproduire par stratégie d’imitation en vue d’obtenir une récompense ? En l’état actuel des choses, les chercheurs pensent que la transmission d’un savoir aux animaux n’aurait aucun sens en milieu naturel car ceux-ci ne verraient pas l’intérêt d’acquérir un savoir qui leur serait inutile. Il faut mettre l’animal dans un contexte culturel et social pertinent pour qu’il ait de l’intérêt à apprendre. De la même manière que personne sur terre ne s’entraînerait à comprendre le langage des chats s’il n’était jamais au contact de chats (cela vaut également pour n’importe quelle langue étrangère plus classique).
Ethnocentriste et anthropocentrisme des études
Un des grands enjeux de l’éthologie aujourd’hui est précisément de changer de prisme initial dans le rapport que nous avons à l’intelligence animale. Outre l’anthropocentrisme dont on aurait bien du mal à sortir (et sans doute tort puisque nous partageons encore une fois tout un système de pensée avec les animaux), il y a une question d’ethnocentrisme puisque nous envisageons l’intelligence des animaux selon notre culture descendante. Or, il existe dans certaines cultures des populations qui arrivent à communiquer avec les animaux dans une idée plus symbiotique.
Pendant longtemps, on a naturellement disqualifié l’animalité. Ce réflexe a sans doute à voir avec le rejet du paganisme par la chrétienté. On a associé le paganisme aux animaux, et jusque dans la représentation des sorcières, entourées de chats noirs. Dans d’autres cultures, au Japon notamment, la tradition animiste a incité les chercheurs à développer une manière de penser la question totalement différente. Il n’était plus question de prouver l’existence de la conscience animale mais plutôt de prouver son inexistence. Ça change tout.
Sources : France Culture, Le JDD, Sciences Humaines, The Conversation