Travailler directement en ligne est une idée qui semble toujours bonne quand tout marche. Mais tout ne marche pas toujours. Travailler directement en ligne ne permet pas de faire des sauvegardes régulières. Internet coupé, et c’est notre connexion au monde qui semble rompue : nous redevenons alors ces individus solitaires, entités isolées incapables de regarder des photos de chat en faisant semblant de travailler.
Le calme
Je débranche et je rebranche la box. Pas de quoi s’inquiéter, ça va revenir tout seul. Pas de quoi s’inquiéter. Ca va revenir. Oui.
L'expertise stressée
Ca n’est pas revenu. Vérification des branchements, suivi des fils avec les doigts, intuition subite de comment résoudre le problème. Utilisation d’un mot mal maîtrisé : switch. Ca doit être ça.
La frustration
Ah non, c’était pas ça.
Le premier « oh putain » se fait entendre.
L'astuce autosatisfaisante
Bon et bah qu’à cela ne tienne ! On va passer en ethernet ! Hop je branche, et je lance Chrome. CONTOURNEMENT COSMIQUE.
L'inquiétude
Vérification des factures et du paiement desdites. Inquiétude quant à la résolution imminente du problème. Inquiétude quant à sa capacité à rendre son travail à l’heure et être payé à temps.
Inquiétude. De manière générale.
L'appel à l'aide
« Je vais poster un message sur un… Bordel de merde j’ai pas Internet, je peux pas poster de message sur un forum ! »
L'appel à l'aide 2
« Oui, Paul, dis-moi, j’arrive pas à me connecter à Internet, tu saurais pas comment résoudre ça ? Tu peux me rappeler ? »
Putain, il décroche jamais ce con. Il décroche JAMAIS !
L'énervement
Insultes diverses et variées adressées à d’hypothétiques représentants imaginaires du fournisseur d’accès, revérification pour la quinzième fois des fils, mouvements frénétiques de souris de peur de perdre le travail accompli, premier coup de pied donné dans la box.
Calmons-nous, agissons intelligemment
Première tentative de connexion à un fournisseur générique : connexion réussie à FreeWifi.
Les codes de connexion sont sur ma boîte mail, je suis baisé. Appel à un ami de manière à ce qu’il puisse récupérer les codes. Codes récupérés par texto. Codes entrés. Connexion à FreeWifi échouée.
Deuxième coup de pied dans la box.
Espoir
« Allez, je m’emmerde pas, je vais aller bosser au café en bas. » Enfilage de manteau. Réalisation soudaine que tu ne peux même plus te payer un café en bas puisqu’on est le 28 du mois et que tu n’as plus un centime. Exaspération.
Haine larvée
Tu paies pour un service, tu le veux, merde ! Ils vont quand même pas m’abandonner sans Internet et sans un rond comme un débile, c’est criminel, quelle bande d’incapables.
Il vont m’entendre.
Identification des responsables
Coup de téléphone furieux au service après-vente de l’opérateur. Répétition en boucle du discours ulcéré pendant la musique d’attente. Dans celui-ci surnagent les mots scandales et résiliation. Communication établie avec un conseiller. Avalage social de toute forme de colère visible. Colère aussi sourde qu’intérieure en me rendant compte que le conseiller me récite des phrases qui apparaissent sur son ordinateur. Conclusion : « Il n’y a pas de problème sur la ligne. »
Explosion
« NON JE NE PEUX PAS REDEMARRER L’ORDINATEUR JE RISQUE DE PERDRE TOUT MON TRAVAIL, MADAME, ET J’EXIGE QUE VOUS ME RETABLISSIEZ IMMEDIATEMENT MA CONNEXION SOUS PEINE DE VENIR JUSQU’A VOTRE CALL-CENTER POUR PISSER DANS VOTRE TUPPERWARE DU MIDI »
Communication achevée avec le conseiller depuis prononciation des mots « sous peine de ».
Intense abattement
Le monde entier n’a été fabriqué que dans le but avoué de te rendre malheureux. Tête prostrée, bras ballants, tempes qui battent, incapacité à réfléchir. Surtout sans Internet pour aider.
Joie
Revérification des fils. Changement de câble ethernet. Retour d’Internet. Sensation d’être un génie qui s’est débrouillé tout seul. Motivation extrême à l’idée de terminer son travail. Déception extrême en constatant que l’installation non désirée de Windows 10 en cours a perdu tout le travail de la matinée. Inquiétude.
De toute façon il est l’heure d’arrêter de travailler. Ca nous aura bien occupé cette coupure !