Avec l'attentat à Charlie Hebdo, nous nous sommes rendus compte que oui, même en France, la liberté de la presse était menacée, et que oui, même en France, on pouvait être tué pour avoir osé faire un dessin qui ne plaisait pas à tout le monde. Malheureusement, les quelques dessinateurs cités ci-dessous s'en étaient déjà rendu compte bien avant ça.
- Naji al-Ali (Palestine)
Connu dans le monde entier pour le personnage de Handala, petit garçon palestinien aux pieds nus, Naji al-Ali a reçu une balle en pleine tête alors qu'il allait au travail le 22 juillet 1987. Il succomba à ses blessures le 29 août 87, soit 38 jours après les faits. Si rien n'a jamais été vérifié, on a souvent accusé le Mossad israélien d'avoir commandité cet assassinat pour se débarrasser d'un militant pro-palestinien un peu trop gênant. Il a reçu à titre posthume en 1988 le prix Golden Pen of Freedom. - Kurt Westergaard (Danemark)
Connu pour avoir caricaturé le prophète Mahomet un turban en forme de bombe sur la tête, Kurt Westergaard a été victime d'une tentative d'attentat en 2008. Le 1er janvier 2010, après de nombreuses menaces de mort, un homme armé d'une hache et d'un couteau s'introduit chez lui et tente de l'assassiner. Heureusement, Kurt Westergaard parvient à se réfugier dans sa salle de bain avec sa petite-fille avant d'être blessé. L'homme en question sera arrêté par la police danoise. - Mehmet Düzenli (Turquie)
Condamné à trois mois de prison pour avoir caricaturé Adnan Oktar, anti-sioniste et anti-maçon averti, principal représentant du mouvement créationniste en Turquie, Mehmet Düzenli a purgé sa peine à la prison de d’Alanya dans le sud du pays. Le dessinateur a refusé de faire appel expliquant que "Si Monsieur Oktar a le droit de prétendre qu’il est le Mahdi [le sauveur censé apparaître à la fin des temps], j’ai moi aussi le droit de dire qu’il ment". Il a été condamné sur la seule parole de son détracteur, Adnan Oktar. La Turquie occupe la 154e place sur 180 dans le Classement mondial 2014 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. - Rayma Suprani (Venezuela)
Licenciée à la rentrée 2014 d'El Universal, le journal où elle travaillait depuis dix-neuf ans, parce que son dessin sur la crise de la santé publique au Venezuela n'avait pas trop plu au gouvernement, la caricaturiste a reçu à de très nombreuses reprises des menaces de toutes sortes. En permanence protégée par plusieurs gardes du corps depuis que son adresse et ses données personnelles ont été diffusées par ses ennemis, Rayma avoue ne pas pouvoir sortir de chez elle certains jours. À l'instar de son prédécesseur Hugo Chávez, le président vénézuélien Nicolás Maduro a une véritable mainmise sur la presse du pays. - Akram Raslan (Syrie)
Le 2 octobre 2012, le caricaturiste Akram Raslan était arrêté par les services de renseignements militaires syriens, alors qu’il était dans les locaux du journal gouvernemental Al-Fida’a à Hama. Depuis un an, il s'était fait remarquer par ses caricatures acides du président Bachar Al-Assad publiées les réseaux sociaux et le site d’Al-Jazeera. Le 26 juillet 2013, Akram Raslan et plusieurs autres prisonniers ont été jugés dans un procès sans témoin ni avocat. Certains disent qu'ils ont été exécutés, d'autres qu'ils sont emprisonnés à vie, mais on ne sait pas ce qu'est devenu Akram Raslan. - Ali Ferzat (Syrie)
Le 25 août 2011, Ali Ferzat est kidnappé, mis dans un sac et tabassé par des agents des services syriens de sécurité. Pour le punir de s'être moqué de Bachar el-Assad et l'empêcher de pouvoir dessiner, on lui brise les doigts. Ça n'a heureusement pas suffit à arrêter Ali Ferzat qui a depuis reçu le Prix Sakharov pour la liberté de penser et le Freedom of Expression Award britannique. Vous aurez remarqué que la Syrie n'est globalement pas très copine avec la notion de caricature. - Walid Bahomane (Maroc)
En 2012, cet étudiant marocain de 18 ans, accusé d’avoir porté atteinte au roi en diffusant une série de caricatures de Mohammed VI sur Facebook, a été condamné par le tribunal de première instance de Rabat à un an de prison ferme et une amende de 1000 euros. Parce que figurez-vous qu'au Maroc le roi est une personnalité inviolable, toute insulte envers Mohammed VI est donc sévèrement punie par la loi. Plusieurs cas similaires à celui de Walid Bahomane ont d'ailleurs été recensés. - Mana Neyestani (Iran)
Nous sommes en 2006 quand Mana Neyestani dessine dans le supplément jeunesse d'un hebdomadaire iranien la discussion entre un enfant et un cafard. Rien de bien méchant si ce n'est que le cafard en question utilise un mot d'origine azéri. Les azéris sont un peuple d’origine turc vivant au nord de l’Iran, et depuis longtemps opprimés par le régime. Totalement involontaire selon son auteur, le rapprochement entre cafard et azéri provoque alors des émeutes dans tout le pays. A la recherche d'un bouc émissaire, Téhéran décide alors de coffrer Mana Neyestani et son éditeur qui vont passer plusieurs mois dans les prisons iraniennes (pas les plus agréables), subissant chaque jour de nouveaux interrogatoires. Neyestani profitera finalement d'un droit de sortie temporaire pour s'enfuit avec sa femme. Il vit à Paris avec sa femme depuis 2010.
Si vous en doutiez encore, il y a encore beaucoup beaucoup de boulot en matière de liberté de la presse.