Dans Lettre d’une inconnue, Ophüls plonge ses spectateurs dans un wagon de foire ; on choisit sa destination et, aux fenêtres, défilent des paysages de la Suisse ou de l’Iran. Pas besoin de prendre l’avion pour voyager : le voyage statique est à portée de tout le monde. Et l’on en sait parfois plus sur un pays en le lisant à travers l’écriture d’un homme qui l’a imaginé qu’en se perdant en photos.
Au cœur des ténèbres, de Conrad
Ultra-connu et incontournable, le roman de Conrad plonge son lecteur au cœur de l’Afrique coloniale, tout au long du fleuve Congo et de ses mystères. Descente aux enfers quand on descend le fleuve, couleurs tropicales et mystères coloniaux : le bouquin est aussi le produit de son époque. Mais il reste une référence en matière de voyage. Son adaptation au cinoche, Apocalypse Now donne peut-être un peu moins envie de braver la jungle du Cambodge (oui parce que Coppola quitte l’Afrique pour nous emmener en pleine guerre du Vietnam).
On conseille aussi la lecture des nouvelles de Conrad, notamment Un avant-poste du progrès, également écoutable, superbe plongée dans un poste colonial à la fin du XIXe siècle.
Flash ou le grand voyage, de Charles Duchaussoy
Récit initiatique d’un junkie sur la route de la soie à la poursuite de son paradis inaccessible, Katmandou. Roman beat d’héritage, publié en 1971, complètement psychédélique mais qui offre des descriptions saisissantes de ces voyageurs qui voyagent aussi par la drogue. Ça donne envie d’aller sur la route de la soie – mais sans drogue.
Sinon vous pouvez aussi lire Sur la route de Kerouac mais bon, on se doute que vous connaissiez déjà.
Les Cavaliers, de Kessel
L’Asie centrale et ses caravansérails, ses querelles d’honneur, avant le soviétisme. Kessel a de toute façon cette capacité hors du commun à saisir les traditions pour les retranscrire dans une langue lumineuse. L’évocation des steppes, des voyages à chevaux, des grandes étendues désertiques et de l’honneur des hommes qui donnent envie de devenir un Afghan des montagnes. Un superbe livre.
Bourlinguer, de Blaise Cendrars
Une visite des ports du monde sous la plume du plus grand affabulateur que la Terre a jamais porté. La nouvelle sur Gênes, où Cendras s’invente une enfance italienne, est exceptionnelle. Dans ces ambiances de caserne, entre cases de pêcheurs et ancêtres des containers, on se transporte de port en porte avec une grâce proche du roulis des vagues. Du voyage statique.
L'Amour de la vie, de Jack London
Recueil de nouvelles entre le grand nord pendant la ruée vers l’or et la Californie pas si lointaine. On connaît le parcours de baroudeur de Jack London qui a fait tous les métiers un peu partout dans le monde ; mais ce recueil nous donne à voir la dimension humaniste de son œuvre. Entre les coutumes inuits et la compréhension profonde de l’identité américaine en formation, on est téléporté dans des paysages dingues en s’en sentant partie prenante.
On en profite pour vous caler un bonus London avec aussi Le vagabond des étoiles. Une terrible critique de la brutalité dans les prisons. Un homme emprisonné dans l’attente de son exécution passe 5 ans dans un cachot sombre en camisole. Il communique avec un co-detenu en tapant contre les murs et ce dernier lui conseille de « s’évader » par la pensée. Il revit alors plusieurs de ses vies passées : un bourgeois à Paris sous Louis XIII, un enfant qui assiste au massacre d’une caravane de pionniers par les Indiens, un marin hollandais qui fait naufrage du côté de la Corée, le vicking Ragnar Lodbrok (oui oui), et un rescapé vivant sur une île déserte. Je dirai pas qu’on se sent exactement comme ce prisonnier mais bon, on peut en prendre de la graine.
La Piste fauve, de Kessel
Kessel est un génie. Alors on a le droit de lui accorder deux points. Ce recueil d’articles publiés dans les années 50 en est la preuve. Voyageant à travers l’Afrique en pleine décolonisation, Kessel en livre une analyse dingue de justesse ; s’il donne parfois dans la veine colonialiste (Kessel est né en 1898, on ne se refait pas), il plaide toutefois pour l’autodétermination des peuples et souligne tous les méfaits de la présence européenne sur l’organisation des ethnies et des États. Son passage par le Rwanda est tout simplement renversant : 50 ans en avance, Kessel y décrit très précisément les phénomènes qui conduiront à la guerre civile sanglante de 1994. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.
Petit traité sur l'immensité du monde, de Sylvain Tesson
À travers la figure du Wanderer, un terme souvent associé à Goethe, Tesson réfléchit sur le voyage en tant que tel et les voyages comme dépassement de soi. Hymne à la solitude, à l’absence d’attache et à la liberté, et voyage littéraire en tant que tel.
Et on vous rajoute un bonus avec Dans les Forêts de Sibérie du même auteur qui devrait tout autant satisfaire votre âme de voyageur frustré.
Le vieux qui lisait des romans d'amour, de Luis Sepulveda
L’Amazonie. Le village local et ses édiles. Les rapports entre les blancs et les indiens. La menace de l’animal. Un livre sur le rapport de l’homme à la nature, sur sa petitesse face aux éléments, dans les moiteurs subtiles de tropiques plus vrais que nature. Et ça se lit en deux deux en plus, pour les flemmards.
Pô, le roman d'un fleuve, de Paolo Rumiz
Tout au long du fleuve Pô, Rumiz décrit l’Italie du Nord, ancienne tête dévastée devenue le fleuron économique de l’Italie. Une vision à contre-courant des clichés de l’Italie où l’aventure n’est jamais loin – au large, la mer et plus loin encore, les pirates.
Voyage avec un âne dans les Cévennes, de Stevenson
Parce que je vous mets au défi de ne pas avoir envie de vous faire un trip à dos d’âne dans les Cévennes après ça. Bon en vrai, ce qui m’a surtout motivé c’est le film Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, mais c’est déjà un bon commencement de lire le livre.
Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, de Haruki Murakami
Si tu aimes braver le bitumes et muscler tes mollets tous les week-end dans le parc le plus, proche, ce livre est résolument pour toi. Et il se trouve que si tu aimes Murakami, il raconte ici comment s’est développée sa passion pour la course à pied jusqu’à se taper un marathon chaque année, et comme ça se passe au Japon, on voyage un peu aussi. Pratique cette affaire.
Le gang de la clé à molette, Edward Abbey
Récit d’une sublime drôlerie qui raconte comme quatre loustics insoumis aux dogmes de l’American way of life vont d’adonner à des actes de sabotage contre les gros chantiers de l’Ouest du pays. C’est un road trip assez barré sur fond de conscience écologique et de rébellion. Ca donne envie de casser son grille-pain.
Baudolino, d'Umberto Eco
Au début du XIIe siècle, Baudolino nous raconte sa vie, de sa naissance en Italie, de ses périples aux côté de l’Empereur Barberousse jusqu’au voyage à travers l’Europe et l’Asie pour trouver l’hypothétique Royaume du Prêtre Jean qui unifierait la chrétienté.
Bon en fait, on va pas tortiller, profitez du confinement pour lire tout Umberto Eco ce sera plus simple.
Le marathon d'Honolulu, de Hunter S. Thompson
Hunter Thompson, journaliste gonzo, est envoyé par Running magazine pour couvrir cette édition du marathon à Hawaïi. Les intempéries et diverses merdes le contraignent à rester là bas, à des milliers de kilomètres de tout. Les fantômes des expéditions du Capitaine Cook deux siècles plus tôt commencent à resurgir.
Leon l'Africain, d'Amin Maaloouf
Là encore, on est sur un auteur phare pour les amoureux du voyage et dont vous pouvez vous emparer au plus vite. Ici, l’histoire commence en Espagne musulmane, en pleine reconquistada et se poursuit un peu partout en Afrique, pour finir en Europe. Et franchement si vous trouvez pas que ça c’est du voyage je me demande ce qu’il vous faut.
Et quelques Bd pour la forme
Corto Maltese : Tango, de Hugo Pratt
On pourrait citer tout ce qu’a fait Hugo Pratt pour la qualité d’écriture et la précision documentaire avec laquelle il retranscrit le monde du début du XXe. Si l’épisode argentin de Corto Maltese n’est pas le meilleur de tous les albums de Corto, il est tout de même exceptionnel de par la manière dont il saisit l’âme de la capitale argentine et propose une galerie de portraits saisissante de tous ces émigrés européens qui y ont trouvé un refuge. Buenos Aires étant une ville qui, finalement, n’a pas tant changé en 100 ans, on s’y sentira projeté au fil des pages.
Chère Patagonie de Jorge Gonzales
Une grande fresque sur l’histoire de la Patagonie et comment les autochtones et leur culture se sont faits détruire (OUPS LA BOULLETTE). Les paysages de Patagonie sont absolument magnifiques très beaux, on sent bien le côté à la fois sublime et austère, le vent, le froid, le fait que c’est une terre hostile pour les hommes. Genre pire que ton garage.
Dans la combi de Thomas Pesquet, de Marion Montaigne
Quitte à vous parler de voyage, autant vous parler de grand voyage avec cette BD excellente dans laquelle Marion Montaigne (autrice de génie de Tu pourras moins bête) livre tout l’entraînement et la formation qu’a du suivre Thomas Pesquet pour aller dans le Soyouz. Et c’est dément.
Chroniques Birmanes, de Guy Delisle
Et de manière générale, on ne peut que vous recommander absolument TOUTES les BD de Guy Delisle, Chroniques de Jérusalem, Pyong-giang, Shenzen. Autant de carnets de vie de l’auteur lors de ses multiples expatriations suivant sa femme qui travaille pour Médecins sans frontières et c’est drôle tout en étant ultra informatif sur les conditions de vie dans d’autres pays, pas forcément ceux où on irait en vacances.
Carnet du Pérou, de Fabcaro
Si on ne tarit plus d’éloges sur Fabcaro, cette petite BD n’est pourtant pas celle qui a rencontré le plus grand succès et c’est bien dommage parce qu’elle est excellente d’autant plus que Fabcaro n’a jamais foutu les pieds au Pérou et que ces carnets sont une vaste plaisanterie.
Cette sélection est ô combien partielle et subjective (toute l’équipe de Topito se cache derrière ces recommandations). Profitez-en pour partager vos propres coups de cœur, l’empreinte carbone d’un livre sur le voyage étant résolument moins importante qu’un vol long courrier.