Vous commencez peut-être la lecture de ce top par simple curiosité, sans avoir la moindre aspiration à devenir cinéphile et vous avez tout à fait raison. Car si par le plus grand des malheurs vous aviez le désir secret, l'ambition démesurée d'acquérir le statut de cinéphile, sachez alors que la route vers ce titre sera longue et tumultueuse. Les nuits blanches se succéderont, contraints que vous serez de décortiquer le moindre symbole caché dans la filmographie d'Alfred Hitchcock, Orson Welles ou encore Fritz Lang ainsi que connaître sur le bout des doigts les répliques des films de Pier Paolo Pasolini. Toujours partant pour devenir cinéphile ? Très bien, je vous aurais prévenu…
- Mépriser les autres
Cette étape est primordiale pour devenir un véritable cinéphile. Quelque que soit l'avis de votre prochain à propos de n'importe quel film, en toute circonstance il aura tort et vous raison ! Le cinéma est souvent propice à des débats sur la symbolique du film, le message porté par le réalisateur ou encore la psychologie des personnages. Votre avis est le bon même si pour cela vous devez faire preuve d'une mauvaise foi scandaleuse. Si vous pensiez que le 7ème art était une activité conviviale où l'on partage un agréable moment entre amis, abandonnez dès maintenant cette quête, vous ne pouvez devenir cinéphile. - Renier les films grand public
Un film faisant plus de 10.000 entrées sera souillé par le public. Ce principe est rétroactif : un film que vous avez découvert devenu entre temps un phénomène de mode devient automatiquement mauvais. Si les films de Stanley Kubrick étaient à la base excellents, l'engouement masturbatoire des néophytes du 7ème art pour ce génie en a enlevé toute saveur. Pour vous faire une petite idée, proscrivez les mots suivants de votre vocabulaire : Tarantino, Tom Cruise, Steven Spielberg, Brad Pitt, Nolan, Ridley Scott, Julia Roberts, Star Wars, Luc Besson, Nicole Kidman, Hans Zimmer, Warner Bros, Nicolas Cage, Michael Bay, Jerry Bruckheimer (ces 3 derniers formant le triumvirat de ce que le cinéma fait de pire)… - Ne prendre que des chefs d'œuvre
Avec autant de films bannis de l'intérêt du cinéphile, que pouvons nous encore regarder vous demandez-vous. L'archétype du film digne d'être visionné correspond aux critères suivants : Noir et blanc (la base), muet (ennuyeux donc peu connu) et antérieur à 1939 (les mauvais cinéphiles privilégient le cinéma post-seconde guerre, évitez le donc). Voici quelques noms pour vous forger une base culturelle respectable : Ferdinand Zecca, Georges Méliès, Edwin Porter, Frank Powell ainsi que le cinéma russe des années 20. Par contre, ne soyez pas surpris si vous vous faites un peu chier. - Privilégier le cinéma indépendant
Bien entendu, vous ne devez pas rester cantonné au cinéma muet. Avec un peu de recherche et de persévérance, vous pouvez trouver des films contemporains valant la peine d'être vu. Le souci majeur est qu'à chaque nouvelle vague intéressante (coréenne, roumaine ou péruvienne) un film gagnera la Palme d'or à Cannes ou le Lion d'or au Mostra de Venise. Ce qui attisera l'intérêt du grand public pour ce courant cinématographique, qui perdra du coup toute valeur artistique. C'est automatique. - Ne pas se fier à la presse spécialisée
Car celle-ci est à la botte de l'ogre hollywoodien (un bon cinéphile est avant tout parano). Véritables pantins dont les ficelles sont tirées par les huiles des grosses maisons de production, les critiques envers les blockbusters sont toujours généreuses même si le niveau du film se situe à des profondeurs abyssales (ce qui est toujours le cas). Seul Libération parait encore oser descendre les blockbusters comme il se doit mais ils le font par anticonformisme plus que par amour du 7ème art. Rabattez-vous donc sur les Cahiers du cinéma. De toute façon votre avis sera le plus pertinent, quoique disent les critiques. - Regarder vos films la nuit
Un vrai cinéphile se doit d'être insomniaque et regarde ses films dans une pièce spécialement aménagée à ce plaisir. Vous imaginez visionner M le maudit dans le salon avec votre famille un dimanche après-midi ? Non. Votre passion est égoïste (de toute façon ils ne sauront apprécier la qualité des œuvres que vous collectionnez). Cette pièce sera équipée avec du matériel de professionnel : écran en toile perlée, projecteur, strapontin, murs insonorisés... La pénombre totale vous permettra de vous immiscer pleinement dans l'atmosphère des films muets que vous contemplerez. Un verre de Whisky et une pipe à tabac sont également les bienvenus. - Ne pas télécharger
La raison en est toute simple, les films les plus populaires en téléchargement sont systématiquement les derniers blockbusters en date. Chose que le cinéphile méprise par-dessus tout. Allouez plutôt un budget généreux pour vos films chaque mois (environ 40% de votre salaire net) et passez vos weekends dans les brocantes afin de dénicher une bobine 35mm de la Nouvelle vague ou une perle rare de John Ford. - Privilégier les films incompréhensibles
Afin de pouvoir assurer votre supériorité sur les amateurs en mousse du 7ème art. Vouez un culte aux œuvres mystiques et nébuleuses telles que The Big Sleep de Howard Hawks ou Zerkalo réalisé par Andreï Tarkovski. Ce n'est pas important si le message du réalisateur vous échappe car ce sera votre interprétation qui prime et aucune autre, pas même celle du scénariste du film. N'oubliez pas de rabaisser les tiers avis sur les forums en démontrant qu'ils n'ont rien compris au film et à sa portée symbolique. Le vrai cinéphile doit passer une grande partie de son temps libre à dire aux autres qu'ils sont cons. - Utiliser un projecteur
Comme cela a été dit au point 6, achetez-vous un antique projecteur professionnel. Le budget pour en obtenir un est, il est vrai, élevé. Mais la passion d'un vrai cinéphile est comme le ciel, c'est-à-dire sans limites. L'image se doit d'être la plus saccadée possible et de piètre qualité afin de vous rapprocher des sensations des cinéphiles de jadis. Ne songez même pas à vous acheter un lecteur blu-ray (Horreur, hérésie !). - Comprendre la plèbe
Une fois par an, osez descendre dans les bas-fonds cinématographiques en allant regarder un blockbuster au cinéma. Encore mieux : visionnez-le dans l'avion, dans des conditions dégueulasses. Ce seront des moments difficiles, qui blesseront votre amour-propre mais vous pourrez alors vous rendre compte à quel point vous êtes supérieur à la masse lobotomisée par l'industrie hollywoodienne. Vous vous délecterez au terme de cette douloureuse séance des commentaires naïfs et heureux des spectateurs à propos de Batman ou Transformers. Ils ignorent peut-être vos connaissances sans failles mais vous, vous saurez à quel point ces prolétaires sont méprisables.
Et vous, vous avez voté pour les plus grands films de tous les temps ?