La meilleure époque de la musique a souvent 20 ans. Lenny Kravitz vendait des disques dans les années 90 en pompant des morceaux des années 70, le phénomène Stars 80 est né dans les années 2000, il est donc normal de s'émouvoir du passage de la deuxième décennie pour les albums qui nous ont marqué. Et il se trouve qu'en 2015, on va pouvoir en fêter quelques uns des anniversaires tant l'année 1995 a été riche. Explosion de la pop anglaise, du trip-hop, rebond post-grunge aux Etats-Unis et éclosion d'une nouvelle scène française, il y avait de quoi faire. En 1995, on ne téléchargeait pas, mais on payait nos CD avec plaisir, parce que l'industrie du disque se foutait un peu moins e notre gueule qu'aujourd'hui. la preuve :
- Tricky - Maxinquaye 20 février
On suit de loin ce que fait Tricky aujourd'hui. Mais on se force a y jeter une oreille. Parce qu'un type qui a mis son nom sur la pochette de Maxinquaye ne peut pas être foncièrement mauvais. Sans Dummy de Portishead et Maxinquaye, le concept de trip-hop ne serait qu'une vaste blague et les rockeurs des 90's n'auraient jamais écouté la moindre note d'électro.
- PJ Harvey - To Bring you my Love 28 février
Après Dry et Rid of Me, PJ Harvey a déjà un nom respecté dans le rock européen. Mais c'est bien avec cet album que la diva montrera tout ce qu'elle sait faire. Quelques singles bien ficelés (C'mon Billy, Down by the water), un son plus glamour sans pour autant céder à la moindre compromission, des morceaux planants permettant à Maurice sur Skyrock de conclure son marathon radiophonique nocture (Teclo), To Bring You My Love a 20 ans et brille comme au premier jour.
- Radiohead - The Bends 13 mars
Plus le temps passe, plus l'idée que The Bends est le meilleur album de la brillante carrière de Radiohead s'impose. La guerre de la brit-pop est lancée, Radiohead y met immédiatement fin en balançant une merveille de rock raffiné aux délicats accents trip-hop. Deux ans plus tard, OK Computer sera l'occasion, pour ceux qui auront raté The Bends, de conférer au groupe d'Oxford le statut qu'il mérite. Il n'est jamais trop tard.
- The Presidents Of The United States Of America mars
D'où sortaient ces mecs? Deux cordes sur la basse, 4 sur la guitare, un batteur avec des maillots de foot différents à chaque concert et une énergie de malade à revendre. En pleine mue du rock, ces trois types débarquent et semblent dire "ok, on arrête les conneries, le rock, c'est ça!" Des chansons sur des fruits, des petits chats et des "dune-buggy", des riffs imparables et des prestations scéniques inoubliables, belle démonstration de force pour un groupe de clowns.
- Pavement - Wowee Zowee 11 avril
Les puristes lui préfèreront Crooked rain Crooked Rain, mais les puristes sont souvent des cons. Wowee Zowee est plus qu'un album important de lo-fi, c'est la preuve du génie de Stephen Malkmus, l'espace que le groupe s'est offert après le relatif succès de l'opus précédant pour dire, voila, on y est, maintenant on fait ce qu'on veut.
- Chemical Brothers - Exit Planet Dust 15 avril
The Dust Brothers ont dû changer de nom en raison des pressions exercées par le duo de producteurs "Dust Brothers" à qui ils voulaient rendre hommage. D'où le nom de ce premier album. Aujourd'hui, et depuis ce premier titre Leave Home, on sait qui sont les Chemical, pionniers du big-beat avant Fatboy Slim ou les Propellerheads. Exit Planet Dust porte l'estocade à l'euro-dance merdique qui inondait nos radios depuis la fin des années 80, et qu'il existe un espace confortable entre la musique de discothèque et la techno la plus hermétique.
- Miossec - Boire avril
La multiplication des festivals dans tout l'hexagone permet à quelques locaux de se montrer et à des phénomènes d'émerger. Miossec et son orchestre jouent presque tous les soirs, partout, qu'il neige qu'il vente ou qu'il caille. Un bassiste, un guitariste qui fait aussi de la trompette et un tambourin, voila ce qu'il faut pour vendre Boire partout où on peut installer une sono. Depuis 20 ans, on ne fume plus dans les bars et on picole un peu moins. Mais on aime toujours Boire.
- Supergrass - I Should Coco 15 mai
En un seul album, Supergrass nous a donné ce qu'il fallait retenir de la brit-pop. Des rouflaquettes, un bassiste cinglé, des chœurs un peu partout et des morceaux qui vont vite, très vite, et qui donnent envie de sauter partout. Parce que les Anglais, c'est parfois des gars bien coiffés comme le chanteur de Pulp, mais c'est un peu plus souvent des hooligans qui pourraient jouer dans Orange Mécanique.
- Dominique A - La Mémoire Neuve 15 mai
Ceux qui iront applaudir Dominique A dans les festivals cet été auront sûrement l'âge de se souvenir de l'époque où le bougre avait encore des cheveux à revendre et attendront fébrilement une énième interprétation du "Twenty-Two Bar". Et ces quadra se demanderont forcément "qu'est-ce qu'elle devient Françoiz Breut?", personne n'aura la réponse, ils finiront leur bière et rentreront tranquillement, parce que "y'a de la route", et "c'est pas tout, mais je bosse demain".
- Bjork - Post 13 juin
Bjork revient cette année sur le devant de la scène avec le statut d'artiste torturée qui a réussi à traverser les décennies avec la même singularité. C'est l'occasion de se remémorer l'énorme basse d'Army of Me, l'entêtant tapis de percussions de Hyperballad ou l'incontournable vidéo de It's Oh So Quiet pour admettre que l'Islandaise avait tapé fort il y a 20 ans en confirmant le prometteur Debut.
- Foo Fighters - Foo Fighters 4 juillet
Quand on perd le charismatique leader de son groupe, il y a deux écoles : soit on ne fout rien comme un vulgaire bassiste et on attend que les sous tombent chaque mois au gré des rééditions des albums de Nirvana, soit on essaye un autre truc. Et il ne faut pas se foirer. Ça tombe bien, Dave Grohl a décidé de faire démarrer son "side-project" par quelques bombes, This is a Call, I'll Stick Around, Big Me... Le grunge est mort, vive Dave Grohl.
- Ben Harper - Fight for your Mind 1er août
Difficile de passer la fin de l'été 1995 sans se laisser prendre par le charme d'un titre de Fight for your Mind, l'album qui va réconcilier tout le monde avec les basses de reggae et les guitares autour d'un feu. Cette année-là, on a crevé un peu moins de djembé dans les camping de festival, parce que Ben Harper, c'est de l'amour (mais on en a crevé quand même, faut pas déconner).
- Sparklehorse - Vivadixiesubmarinetransmissionplot août
Depuis la mort de Mark Linkous, toutes les chansons de Sparklehorse ont une autre saveur et on réalise à quel point cet album est triste. Si ce premier album rassemble des titres écrits sur plusieurs années, le tout forme un ensemble cohérent, avec un certain "Al Esis" à la batterie, histoire d'humaniser la boite à rythme de marque Alesis qui maintient inlassablement le tempo derrière.
- Garbage - Garbage 15 août
Avec Garbage, une nouvel ère s'ouvre dans le rock, celle des requins de studio. Butch Vig, producteur de Nevermind, et Steve Marker, producteur de L7, s'associent pour un genre de "super-groupe d'ingé-son". Le résultat est peut-être la mort du rock mais c'est le début d'autre chose. Des samples, des boucles, des grosses guitares par couches successives, ce qu'il s'est passé il y a 20 ans avec cet album est important, on le sait désormais.
- Red Hot Chili Peppers - One Hot Minute 12 septembre
4 ans après Bloodsugarsexmagik, on aurait du craindre une pâle copie de ce monument. Mais comme Frusciante a claqué la porte et que tout le monde sifflote "Under the Bridge" depuis 1991, on n'attendait plus rien. Et quand on n'attend rien, on a souvent de bonnes surprises : les Red Hot font le nécessaire pour faire rentrer les sous avec quelques tubes respectables, Aeroplane et My Friend, et pour le reste c'est de la grosse basse, de la wha-wha au delà du raisonnable et des mitraillettes de caisse claire. 61'24 au chrono, une heure à remuer la tête comme des tarés (en faisant une pause sur Pea pour ne pas se bousiller les cervicales), merci les mecs.
- Skunk Anansie - Paranoid and Sunburnt 18 septembre
Si vous les aviez raté en festival, vous les avez peut-être entendus dans le film d'anticipation Strange Days. Rien de tel que la musique enragée de ce groupe de "clit-rock", selon les termes de Skin, la figure de proue black, féministe et bisexuelle de Skunk Anansie, pour animer les derniers jours chaotiques avant l'an 2000. Rage Against the Machine a son alter-ego féminin et britannique. Depuis le groupe a capitaliser sur des ballades, mais on n'oublie pas ce brûlot qui nous ravit encore aujourd'hui.
- Oasis - (What's the Story) Morning Glory 2 octobre
Au risque de se faire insulter par les puristes, on peut presque dire que si les Beatles étaient encore actifs en 1995, ils auraient pu enregistrer un titre comme Cast no Shadows. Est-ce qu'à leur âge avancé ils auraient été capables de mettre sur le même album Wonderwall, Champagne Supernova ou Don't Look Back in Anger? Rien n'est moins sûr. Oasis n'est pas le dixième des Beatles, mais s'est quand même bien servi dans l'héritage.
- Smashing Pumpkins - Mellon Collie and the Infinite Sadness 24 octobre
Le double-album est l'apanage des groupes solidement installés. Apparemment, le brillant Siamese Dream de 1993 suffit à faire des Smashing un groupe important, et la bande de Billy Corgan lâche ce monstrueux double-CD dans lequel on aurait pu tailler au moins trois ou quatre bons albums avec un peu de remplissage. 20 ans après, ça ressemble à un best-of tant la densité des tubes en puissance y est élevée.
- Pulp - Different Class
Arte a récemment consacré un reportage sur la brit-pop, et s'est fait plaisir en réécrivant un peu l'histoire : si ceux qui l'ont connue se souviennent surtout d'avoir sauté partout lors de concerts endiablés et profité de cette insouciance venue tout droit d'Angleterre, la chaîne franco-allemande préfère y voir un mouvement social profond, l'heure de gloire des prolos du Royaume-Uni qui consacra le parti Travailliste de Tony Blair. Pour étayer cette thèse, il y a le morceau Common People de Pulp qui tombe à point nommé. On oubliera donc le cynisme des maisons de disques qui nous ont balancé des clones de Suede pendant quelques années et on fera de Blur, d'Oasis ou de Pulp les fer de lance d'une forme d'expression politique.
- Blur - The Great Escape
Dans la guerre de la brit-pop, on préférait souvent Oasis, mais on devait bien reconnaître que Blur était meilleur. Là où les mecs de Manchester misait sur de bonnes chansons, Blur arrangeait ses titres au millimètre, un vrai travail d'orfèvre qui faisait que tous les groupes de merde à la fête de la musique préférait reprendre Wonderwall que Charmless Man. 20 ans plus tard, on galère encore à tenir le rythme de Graham Coxon.
Dans 10 ans, on mettra à jour cette liste avec un Top 30 des albums qui fêtent leurs 30 ans en 2025, et promis on ajoutera "Sugar Ray - Lemonade and Brownies", "Electrafixion - Burned", "Gene - Olympian", "Whale - We Care", "No Doubt - Tragic Kingdom", "Big Soul- Big Soul", "Prince - The Gold Experience", "Menswear - Nuisance", "Elastica - Elastica", "Everclear - Sparkle and Fade". Silmaris et Therapy attendront 2035 pour être mentionnés.
Source : 1995, meilleure année de tous les temps pour la musique.