Un jour, le consortium mondial des stagiaires en marketing s’est réuni au sommet du bâtiment Bullshit pour une réunion exceptionnelle visant à baliser l’intégralité du discours marketing à inscrire sur tous les produits de consommation courante, du jus d’orange au shampoing en passant par le sucre. Leur but ? Décider des mots que l’on écrirait en gras, indifféremment, sur tous les packagings du monde pour faire passer un message punchy aux consommateurs. Leur faire comprendre la qualité du moment qu’ils s’apprêtaient à passer avec un produit x ou y nécessitait un remue-méninge de stagiaires aguerris, véritable challenge pour choisir les mots les plus dénués de sens et les plus interchangeables. Mission réussie, bravo les mecs.

Savoureux

Alors il est comment le goût de ce jus d’orange, hein ? Il est comment ? Je vous le demande ? Est-ce qu’il serait pas savoureux ce goût, par hasard ? Tout juste. Savoureux.

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Il n'a pas souffert, promis

Onctueux

Allez, pas besoin de chercher midi à quatorze heures (on le trouverait pas, de toute façon), un mot, un seul pour résumer la texture de ce yaourt nature. Comment ? Epais ? Non, pas assez vendeur. Dégueulasse ? Non, tu n’y es pas Jonathan. Spermique ? Ce n’est pas ça non plus. Onctueux, c’est onctueux qu’on cherchait, bien vu Serge.

Rafraîchissant

Ça c’est le comble ; alors que je prenais une douche chaude, je me suis retrouvé à me laver les cheveux avec un shampoing aux agrumes rafraîchissants. Sensation de chaud-froid, douche écossaise, j’entendais déjà le son des bignous, moi, alala, quel moment privilégié.

Inimitable

Tu peux pas test’, essaie même pas de te lancer dans le business du pain de mie, mec, on te le dit, on te l’écrit noir sur blanc : cette saveur, elle est inimitable. On aurait pu dire unique ; ça aurait laissé une marge de progression pour les petits malins qui auraient voulu tenter le coup. Mais non, elle est inimitable. Et c’est vrai que ce léger goût de moisi, je ne suis pas sûr de pouvoir l’imiter.

Tendresse

Qu’est-ce qui nous arrive, petit pot de beurre ? T’es là, devant moi, et je sais pas je ressens de ta part comme un élan d’amour. Qu’est-ce qui nous arrive ? Est-ce que toi et moi, on serait en train de former un nous ? Là, quand je te tartine et que tu me regardes avec tes petits yeux doux (c’est le comble pour un beurre salé). Comment qualifier ce moment ? Je sais : c’est un moment tendresse.

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Il n'a pas souffert, promis

Traditionnel

Pas la peine de le dire, je, comment dire ? Je le savais. Ça se sentait à ce petit goût fumé, un je-ne-sais-quoi de l’ancien temps, quoi. Il était évident que ce jambon émanait d’un savoir-faire traditionnel. Je suis ému à l’idée d’imaginer les machines industrielles de l’abattoir écouter avec attention les conseils et astuces de ce vieux charcutier à moustache qui ressemble à Jean Ferrat, prendre des notes avec leurs tiges en métal, dodeliner du disque dur face à la difficulté et reproduire, à leur tour, ce savoir-faire traditionnel qui a fait les belles heures de la charcuterie du terroir.

Inégalé

Certains s’y sont essayés ; ils s’y sont cassé les dents. Mais allez-y, hein, si vous voulez. On parle du Usain Bolt de la Farfalle, là, une pâte dont la performance ne souffre pas la comparaison, faites, comme les autres pâtes, à partir de farine de blé (oui, mais le meilleur blé). Donc allez-y, c’est une perche, presque, qu’on vous tend, on serait ravi, nous, que quelqu’un vienne challenger cette saveur inégalée, mais on se fait pas trop d’illusions, hein, parce que quand même on sait y faire, les enfants.

Douceur

Vous êtes-vous déjà caressé la joue avec une tablette de chocolat ? Vous n’ignorez donc rien de cette sensation si smooth, ce moment câlin qui vous plonge dans un océan de douceur, presque du cocooning. Quelle douceur quand les doigts glissent sur le plastique et descendent, peu à peu, vers l’ouverture facile ! Rien que d’y penser, j’en ai des frissons, c’est dire.

Maîtres-cueilleurs/fruitiers/caféiers

Bah oui ! On ne vous ment pas quand on vous dit que l’industrie bat de l’aile dans le monde occidental ! Première preuve : la disparition des ouvriers. Ils ont tous été remplacés. Pas par des machines, hein ; par des maîtres-fruitiers, ou des maîtres-caféiers, des passionnés du ramassage des fruits qui connaissent tellement leur métier qu’ils n’ont pas l’impression de travailler quand ils l’exercent et n’ont qu’une hâte : que cette lombalgie cesse pour qu’ils puissent reprendre le chemin du plaisir.

Passion

C’est un peu le maître mot, quand on y pense. Sincèrement, pensez-vous que quelqu’un s’ennuierait à fabriquer des galettes de sarrasin industriel juste dans l’idée de les vendre ? Juste dans un cadre contractuel ou transactionnel ? Vous vous fourrez drôlement le doigt dans l’oeil. L’ensemble des équipes qui interviennent dans l’élaboration de ces galettes est animé par un seul sentiment : la passion. Et même : la passion du plaisir.

Croustillant

C’est vrai que maintenant que tu me le dis, elles croustillent, ces galettes de riz. Ça fait cronch cronch, pas de doute. Je me demande si le côté câlin doudou du chocolat pourrait venir contrebalancer un peu le caractère croustillant de la galette. On fait le test ?

"Explosion de saveurs" (sic)

D’abord, j’ai crié. J’ai cru qu’une horde de terroristes islamistes avaient décidé de perpétrer des attentats dans ma bouche. Et puis j’ai lu l’emballage du nouveau pack de sucre (lequel dispose d’un bouchon « précision » pour plus de précision, c’est écrit, aussi, dessus), et je me suis rendu compte que j’étais simplement en train de faire l’expérience d’une authentique explosion de saveurs. Dieu soit loué.

Détente

Ce n’est pas parce que je n’ai que 3 minutes pour prendre une douche avant de partir au boulot que je ne dois pas passer un véritable moment de détente. En tous les cas, le gel douche s’est mis en tête de me faire déstresser un bon coup en m’offrant un petit moment de détente acidulée. Et c’est vrai que je me sens tout détendu et acidulé. J’ai hésité avec le modèle vivifiant, mais j’ai toujours eu une préférence pour la détente.

Tout doux

Après cette douche, bien reposé, je me rends compte que je ne peux pas partir le ventre vide. Mais j’ai peur que des aliments trop secs ne me ramènent à la dure réalité de l’hiver… Si seulement j’avais quelque chose de tout doux à manger… OH ! Ça tombe bien ! J’ai justement une mousse au chocolat dont l’étiquette précise qu’elle offre un réconfort tout doux. Pile ce qu’il me fallait. Je vais m’en mettre un peu dans le slip, aussi.

Amoureusement

Non seulement, tous les produits susdécrits ont été préparés avec passion, mais il ne faut pas croire que l’on parle ici d’une passion lambda, comme celle de Gilles pour les soldats de plomb ou de celle de Marie pour le train électrique. C’est une vraie passion, jamais démentie, comme une lune de miel éternelle qui unirait ces corn-flakes à leurs concepteurs. Je le dis parce que c’est écrit : apparemment, les maîtres-céréaliers ont choisi amoureusement les meilleurs grains pour proposer des corn-flakes à la saveur inimitable.

Généreux

Oui. C’est vrai. D’ailleurs, je n’en avais jamais vraiment douté, mais il faut bien le reconnaître. Cette huile d’olive est généreuse. L’autre jour, j’avais besoin d’un billet de 10 parce que j’étais payé en retard, et j’ai pu me couvrir le corps d’huile à la place. Elle s’est proposée d’elle-même, l’huile. Quelle générosité. Quelle générosité.

Naturel

Comme un nectar de nature, cette ratatouille. Les légumes s’y présentent comme nus, ils s’offrent au regard, lascifs, et ne se couvrent pas des artifices habituels dont les végétaux tendent à se parer. Ils sont eux-mêmes, entiers, naturels. On vit un vrai moment de partage, la ratatouille, ma casserole et moi.

Sensations

Avec ce thé, je fais le plein de sensations. A quoi bon les caractériser ces sensations ? Tenez, tandis que je bois une gorgée, j’ai la jambe qui me démange et un léger stress en repensant au travail que je dois rendre pour demain et n’ai pas commencé. Sensations. Sensations partout sur le corps, tandis que je me rends compte que, décidément, je suis allergique à ma lessive qui était censée m’apporter une sensation câline. Et dans la bouche, j’ai une sensation de chaud. Sensations.

Promesse

Quand elles émanent des politiques, c’est vrai qu’on s’en méfie ; mais de la part d’une brique de lait, tout de même, ça fait plaisir. Cette brique de lait me regarde dans les yeux et me fait une promesse toute simple : celle de passer une bonne journée. Il y a tellement de sincérité dans son ouverture quand elle me la formule, cette promesse, que j’ai envie d’y croire. J’ai envie de ne pas me laisser détourner de cette promesse au nom d’emmerdements imaginaires. J’ai par ailleurs envie de m’accoupler avec cette brique et de partir avec elle en Amérique du Sud.

Vie

Et si, au fond, tout tournait autour de ça ? Le lait, le beurre, la mousse au chocolat, la lessive, le produit vaisselle, le sucre, le jambon, le jus d’orange, le pain de mie, le sel, l’huile, la ratatouille, les pâtes, le riz, si tout tournait autour de ça ? Si tout cela n’était qu’un décorum de manège pour nous ramener aux vraies saveurs, aux vraies valeurs, à tout ce qui nous constitue, nous irrigue et nous meut, à cette force intime si difficile à saisir et qui, pourtant nous habite ? Et si, finalement, tout ça n’était que la vie ?

Marketing, je t’emmerde tendrement, amoureusement, mais je t’emmerde quand même.