Globalement, je ne pense pas jeter un pavé dans la mare en vous disant que les femmes du monde entier souffrent encore du sexisme au quotidien. Entre le sexisme ordinaire, le harcèlement de rue ou encore les preuves que les femmes sont moins riches que les hommes, franchement, on n’est pas aidées. Et malheureusement, aucun domaine n’est épargné, pas même le sport (qui est choqué ?). C’est ce que révèle le documentaire d’Arte en quatre épisodes Toutes Musclées, réalisé par Camille Juza. Et franchement, ça nous donne envie de nous mettre à la boxe pour foutre des uppercuts et des crochets au patriarcat.
Beaucoup de pratiques sportives ont longtemps été interdites aux femmes (jusqu'à il y a peu)
Difficile de s’imaginer que pendant longtemps, les femmes n’avaient pas accès à certaines pratiques sportives, et pourtant. Avec l’avènement des sports modernes, au début du 19e siècle, avec l’impulsion, notamment de Pierre de Coubertin, quasiment toutes les disciplines étaient pensées pour les hommes.
Grâce au travail d’Alice Milliat notamment, la Fédération des sociétés féminines sportives de France a été créée dans les années 10, ce qui n’a pas trop plu à ces messieurs. Pour reprendre la situation en main, ils ont donc décidé d’intégrer les femmes dans certains sports en décidant des règles et des tenues qu’elles porteraient, tout en demandant à ce que les nanas restent discrètes, qu’elles limitent leur pratique sportive et ne délaissent pas l’esthétique.
Tout ça pour qu’au final, certains sports ne soient autorisés que beaucoup plus tard : l’épreuve de saut à ski aux Jeux Olympiques ne s’est ouverte aux femmes qu’en 2011. Auparavant on considérait cette pratique comme « dangereuse pour les femmes ». Et ma main dans ta gueule, elle est dangereuse ?
On continue de croire qu'une femme doit être fragile et peu musclée
Au-delà du fait que les hommes y perçoivent un danger pour leur masculinité (on va y revenir), le corps des femmes musclées est souvent l’objet de critiques, car il ne répond pas aux standards de ce qu’on « attend » d’une femme. Comme le raconte la Youtubeuse Juju Fitcats dans le documentaire d’Arte, à chaque vidéo postée, elle se tape des commentaires de bougs pas contents du style « T’as trop d’épaules » ou « T’es plus musclée que moi, c’est pas beau ».
Même chose pour la bodybuildeuse Khoudiedji Sidibé qui reçoit des commentaires tels que « T’as des gros bras » en permanence. Mais pourquoi est-ce que les gens ont toujours besoin de critiquer la taille des muscles des femmes ? Eh bien tout simplement parce que les meufs musclées pratiquant des sports de puissance cassent le mythe qui veut que la femme soit une petite chose fragile à qui il faut porter secours. Ni plus ni moins.
Encore trop d'hommes n'acceptent pas que des femmes soient plus fortes qu'eux
Coucou la masculinité toxique et les mecs qui ont un gros problème avec leur virilité. Parce que c’est bien connu que « vrai homme » sait déraciner des arbres à mains nues et a des cuissots de la taille d’un réacteur d’avion. Du coup, gare aux femmes qui montreraient plus de muscles qu’eux. Comme je vous le disais juste au-dessus, le fait que les femmes qui font des sports « balèzes » ne soient plus fragiles fait flipper, car cela remet en cause « la hiérarchie des sexes ». On voudrait que les femmes ne soient pas trop viriles, pas trop performantes pour ne pas se sentir dévalorisé face à « une fille ». Du coup, l’effet de comparaison hommes/femmes ne fait pas du bien à tout le monde et certains se sentent en danger dans leur rôle de bonhomme. C’est pour ça qu’il y a toujours des vieux mecs relous à la salle qui viennent te donner des conseils sur comment faire des squats alors qu’ils n’y connaissent queud. Vraiment, il faut arrêter de faire ça.
Les femmes sportives sont presque systématiquement renvoyées à leur physique
Je vous le disais au début : dès les premières pratiques sportives féminines, on a tout fait pour que les femmes conservent une certaine féminité, en louant des pratiques qui développaient surtout l’esthétique, l’entretien ou le côté artistique (danse, gymnastique, etc). Aujourd’hui encore, plein de sportives de haut niveau sont renvoyées à leurs physiques et non à leurs carrières ou à leurs capacités. En 2022, l’équipe de France de natation artistique s’est vue rabaissée en postant une photo d’elle sur les réseaux sociaux. Parmi les meilleurs commentaires, on pouvait lire « Belle brochette » ou encore « Quand je vois la photo, la première chose qui me passe par la tête, c’est que j’aurais tout donné pour me glisser parmi vous mesdames ».
Mais ce qui illustre le mieux ce cas de sexisme, c’est certainement cet échange entre Jeannie Longo et le cycliste Marc Madiot quand ce dernier traite carrément la championne de « moche » parce qu’il ne supporte pas de voir une femme être meilleure que lui dans son sport. Un grand moment d’anthologie.
Les tenues exigées pour les sportives ne sont pas du tout adaptées
Non mais parlons-en des tenues des sportives. Déjà à la course, les femmes doivent porter une brassière et une culotte alors que les hommes ont droit à un short et un tee-shirt. Même chose pour le beach-volley. En patinage artistique aussi : pendant que les hommes ont des combinaisons intégrales, les femmes se tapent des minirobes décolletées avec une culotte qui rentre dans le cul. Plein d’exemples illustrent aussi le sexisme des règlements qui imposent ces fringues : en 2021, l’équipe nationale féminine de handball de plage norvégienne s’est pris 1500 € d’amende pour avoir joué en short plutôt qu’en culotte.
En 2018, Serena Williams a reçu un rappel à l’ordre de la direction de Roland Garros pour avoir porté une combinaison noire au lieu d’une jupette. Mais ces règles vestimentaires n’ont pas été décidées au hasard : comme l’explique la sociologue Béatrice Barbusse, il y a une logique économique « pour faire vendre parce que les hommes ne seraient attirés que par le côté sexuel de la sportive ». Et comme le dit l’ancienne footballeuse Mélissa Plaza, aujourd’hui, « la première tâche des sportives, c’est d’être l’objet de divertissement des messieurs ».
C’est d’autant plus frustrant quand ces tenues ne sont même pas adaptées à la pratique, contrairement à ce qu’on veut bien nous raconter : throwback en compétition de gym quand j’avais 14 ans et qu’il fallait que je me foute de la glu sur les fesses pour ne pas que ma culotte ne dépasse de mon justaucorps quand j’avais mes règles si je ne voulais pas avoir des points en moins. J’invente rien.
On suspecte les femmes très performantes de ne pas être "de vraies femmes"
C’est la double peine quand on est plus musclée et plus performante que la moitié des hommes de la planète : on devient tout de suite la cible de suspicions et les gens autour se mettent à chercher des preuves que l’on n’est pas un « homme caché ». C’est ainsi à ça que servaient les « tests de féminité » adoptés au début des années 60 en Europe. En plus de regarder les organes génitaux (pas du tout humiliant, déjà, comme pratique), les médecins évaluaient aussi la force musculaire des femmes, parce qu’évidemment, c’était mauvais signe si elles étaient plus fortes qu’un homme. Si aujourd’hui, les contrôles de féminité ne sont plus pratiqués en Europe, on continue de discriminer les femmes trop masculines.
C’est notamment le cas de l’athlète intersexe Caster Semenya, championne du 800 mètres qui, en raison de son taux trop élevé de testostérone, ne peut plus concourir à l’international sans prendre de traitement hormonal pour ne plus être considérée comme « biologiquement homme ».
Pour éviter ces soupçons, beaucoup de sportives de haut-niveau ont témoigné avoir eu recours à des stratégies comme se mettre des boucles d’oreilles ou du gloss pour concourir. Toujours dans le documentaire Arte Toutes Musclées, la footballeuse Mélissa Plaza expliquait d’ailleurs que dans le sport, il faut « se plier à la féminité » si l’on ne veut pas perdre des sponsors et de la médiatisation. Carrément, ouais.
Beaucoup d'activités sportives continuent d'être sexualisées
Eh oui, même si vous dites à votre gamin qu’il peut tout faire, la réalité n’est pas aussi sympa. En 2013, selon le ministère des Sports, 97 % des licenciés de moins de 18 ans en rugby étaient des garçons, contre 93 % en danse pour les filles. Eh oui, encore aujourd’hui, dans l’esprit général, il existerait des « sports d’hommes » et des « sports de femmes ». Il semble qu’on ait toujours du mal à accepter la présence de femmes dans les sports de force, de manipulation d’engins lourds et d’affrontements. Les gros trouillards sérieux.
Dès notre plus jeune âge, on apprend aux garçons à être forts et aux filles à rester en place
Bon, là, on passe du côté de la socialisation parce que croyez pas, mais tout ce qu’on dit aux gosses dès l’enfance contribue à la vision qu’ils auront de la société et des relations hommes/femmes. Ainsi, quand on invite les garçons à grimper aux arbres, à courir vite à l’école et à prendre de la place alors qu’on dit aux filles de faire attention, de rester tranquille et de ne pas se salir, on contribue à véhiculer l’idée que les femmes doivent être moins sportives et prendre moins de risques que les hommes. Et c’est pour ça qu’à l’école, on a encore plein de gosses qui parlent de « lancer un ballon comme une fille ». CQFD.
De nombreux espaces sportifs publics ne sont pas safe ni adaptés pour les femmes
Ces dernières années, plein de salles de sport réservées aux femmes ont vu le jour en France pour pallier le harcèlement et leur permettre de pratiquer une activité sportive dans un espace sécurisé et bienveillant. Si l’existence de ces salles révèle déjà un sacré problème (parce que qui a envie de se faire mater le cul pendant une série de hip thrusts ?), ce n’est pas le seul.
Comme en témoigne la sociologue Catherine Louveau dans le documentaire, dans les salles de sport, les femmes n’occupent pas l’espace qu’elles devraient prendre : « elles restent dans les coins, s’excusent tout le temps ». Elle explique aussi que statistiquement, « les hommes sont sur les bancs de muscu alors que les femmes sont dans les cours collectifs ». Bref, c’est pas jojo non plus, même quand on ne fait pas du sport de haut niveau.
Même si tout ça évolue, la principale motivation pour une femme dans l'activité sportive c'est de maigrir
Je vous le disais plus haut mais quand sont apparus les premiers sports modernes, les femmes étaient autorisées à faire de l’exercice physique surtout pour s’entretenir (parce qu’une mère en bonne santé faisait de bons enfants selon la loi du marché, vous le saurez). Mais avec l’arrivée des salles de sport privées dans les années 80, venues de Californie, un autre modèle s’est imposé : celui de la performance pour l’esthétique. Il faut faire du sport pour être bonne et non plus pour se libérer de l’oppression sociétale.
Les sociologues le notent : l’omniprésence des exercices d’abdos-fessiers traduisent bien la sexualisation des femmes car ce sont ces zones qu’il faut entretenir si l’on veut être désirable selon le regard masculin. Alors qu’en vrai, on est toutes des grosses bombasses, et personne n’a le droit de dire le contraire.
Les professionnelles du sport s'en prennent plein la tronche
Allez savoir pourquoi, les mecs ont toujours l’impression que parce qu’ils ont une sportive de haut niveau en face d’eux, ils peuvent tout s’autoriser. Je pense notamment à Martin Solveig qui s’était permis, en 2018, de demander à Ada Hegerberg si elle savait twerker en lui remettant le Ballon d’Or féminin. Mais s’il n’y avait que lui ! Spéciale dédicace au très délicat et respectueux Philippe Candeloro qui, parmi ses 10 000 sorties de route, a dit de la patineuse Valentina Marchei qu’elle ressemblait à « Monica Bellucci [avec] peut-être un peu de poitrine en moins… ». Vraiment un chic type ce Philou. Vous me direz des nouvelles de son best-of.
D'ailleurs, il persiste de grosses inégalités de traitement dans les médias et les interviews
Outre le fait que, bien trop souvent, on filme les culs ou les poitrines des femmes lors de compétitions sportives alors que ça n’a aucun lieu d’être, la médiatisation du sport en général est stéréotypée. D’après le documentaire, en Europe, seuls 15 % des sujets sport sont consacrés aux femmes. C’est pas trop beaucoup quand même.
Selon la sociologue Mélie Fraysse, les interviews sont également bien sexistes : les questions posées aux femmes sont bien plus vite tournées vers la vie privée (le compagnon, l’apparence, les vacances…) que vers la carrière et les performances. Bref, on a beaucoup de mal à les médiatiser en parlant juste de leur sport. ET C’EST UN GROS PROBLÈME, QUAND EST-CE QU’ON ARRÊTE ??
On attribue bien souvent le succès d'une femme à un homme
Selon les sociologues du documentaire, on parlerait proportionnellement plus des entraîneurs des sportives que des sportives elles-mêmes. Cela s’est par exemple vérifié lors de la victoire de Katinka Hosszu aux Jeux Olympiques de Rio en 2016 qui, lorsqu’elle a remporté le 400 mètres quatre nages et battu le record du monde, n’a pas été filmée au profit de son mari et entraîneur Shane Tusup. Alors même qu’elle vient d’arriver première, c’est lui que l’on voit exploser de joie sur les écrans de la NBC. Bref, vraiment pas le meilleur move à faire quand on couvre les JO, qu’on se le dise. Mais à ce sujet je vous renvoie tout simplement aux inventions de femmes volées par des hommes.
Les sportives ne bénéficient pas de la même reconnaissance ni des mêmes conditions d'entrainement que les hommes
On parlait d’inégalités de reconnaissance juste au-dessus en termes de traitement médiatique, eh bien attendez, c’est pas fini. Eh oui parce que les meufs sont aussi désavantagées dans les récompenses face aux hommes. Lors de la coupe du monde féminine de football de 2019, la FIFA avait décidé d’attribuer 3,5 millions d’euros aux vainqueuses. En 2018, les vainqueurs hommes repartaient, eux, avec 33,8 millions d’euros. Comme une légère petite diff, me semble. C’est d’autant plus injuste quand on sait que les femmes jouant en tant que professionnelles sont obligées d’avoir un autre métier à côté tellement elles sont mal payées.
Mélissa Plaza racontait d’ailleurs dans Toutes Musclées que la différence hommes/femmes ne s’arrêtait pas au salaire puisque elle-même a dû s’entraîner sur des terrains trop petits, avec des équipements non-adaptés qui étaient juste les « restes » un peu nazes des joueurs mecs. Voilàààà voilàààà.
De nombreuses problématiques féminines liées à la pratique sportive sont toujours taboues
Et pour finir sur une bonne note, je vais lancer quelques pistes de sujets féminins aucunement abordés dans le sport parce que tout le monde s’en bat la race des femmes et de ce qu’elles peuvent bien subir. Donc, croyez-moi que l’arrêt de la carrière à cause de la maternité (considérée comme privée alors que c’est parfois compatible) ou encore les fuites urinaires liées à la pratique de certains sports (qui concernent 50 % des sportives de haut-niveau) sont le cadet des soucis des hommes dans le domaine du sport. Si je peux me permettre, je résumerais la situation ainsi : on n’a plus qu’à aller se faire foutre.
Bravo les zommes, voilà votre médaille pour tout ce travail accompli, vous méritez.
Source : Arte.