Quand on est peu féru d’art et plus particulièrement de peinture, il est parfois ardu de différencier clairement ce qui relève de l’œuvre majeure ou du gribouillage instinctif. C’est d’autant plus vrai quand on contemple avec émoi les tentatives artistiques de notre progéniture. Néanmoins, et malgré toute la subjectivité qui s’invite lorsqu’il faut émettre un jugement, certains signes montrent que l’enfant a une sensibilité artistique, disons… différente de celle des peintres enseignés en Histoire de l’Art. Un oeil exercé peut en effet rapidement faire la part entre le travail d’atelier et celui de maternelle en se basant sur quelques détails qui pourraient vous échapper.
La lumière
Le travail sur la lumière du tableau de maître sera substitué par l’enfant par un soleil dans un coin supérieur de la feuille. Malgré l’orientation en biais de cette source de luminosité, aucun effet d’ombre ne sera reproduit, ce qui peut déstabiliser le néophyte. Certains enfants, plus pragmatiques, règleront ce problème en ajoutant un deuxième soleil dans l’autre coin supérieur. Pas con.
Les perspectives
Là où l’artiste confirmé et affirmé va chercher à reproduire ce que lui transmet son œil, l’enfant préfère évoquer le réel en superposant les plans. Dans le jargon des arts plastiques, on dit qu’il « ne s’emmerde pas ». L’enfant pense une bâtisse comme un pignon et suggère subtilement l’architecture de l’édifice. « Subtilement » au sens « je le dessine pas ». Avant-gardiste, à n’en pas douter.
Le sujet
Dans un souci de cohérence artistique, l’enfant aura une prédilection pour certains sujets : ma maison, mon papa, ma maman, mon école. L’artiste, soucieux de « faire son intéressant » évoquera des scènes historiques, mythologiques ou religieuses, de majestueux paysages impressionnistes ou symbolistes, et s’investira beaucoup moins que l’enfant, dont la démarche créative se veut aussi sincère et crue que possible. L’art est avant tout une mise à nu et exige de livrer une part de soi.
Le support
Indice souvent décisif : une œuvre réalisée sur une toile blanche tendue sur un cadre de bois sera bien souvent celle d’un artiste confirmé alors que le gribouillis fait à coup de craie d’art sur une page de cahier à grand carreaux, interligne simple, sera plutôt le fait d’un gamin de 5 ans et demi. Ouvrez l’œil, vous verrez, c’est très net.
Le respect des proportions
L’artiste, le bras tendu, un œil fermé et le pouce mesurant le sujet sur son pinceau, se comporte comme un pathétique substitut à la photographie avec son insupportable souci de respecter les proportions de ses modèles. L’enfant pour sa part mettra en évidence ce qui lui semble primordial, le visage de papa, la chevelure de maman, et tant pis si ces derniers sont un peu grands pour rentrer dans la maison.
Une représentation symbolique de la Nature
L’artiste utilise (un peu facilement, convenons-en) le cycle des saisons pour insuffler à sa toile l’atmosphère picturale la plus singulière et la plus personnelle qu’il soit : triste l’hiver, joyeux le printemps… L’enfant mise sur le caractère intemporel de sa vision : la nature, c’est une fleur. Et une fleur c’est un rond (le pistil) avec des ronds autour (les pétales), le tout au bout d’un trait (la tige). Voila, c’est clair, c’est efficace et sans artifice.
Une occupation savamment pensée de l'espace
Quitte à rajouter un animal pour meubler, le gamin ne va pas encombrer le premier plan d’un chien, par ailleurs un peu plus velu à dessiner, et choisira plutôt de remplir l’espace laissé vacant entre le soleil et la maison par un oiseau. C’est pas ce bon à rien de Rembrandt qui aurait pensé à ça.
Le rapport au carcan de la physique
Est-ce que l’artiste s’est demandé s’il allait peindre un cumulo-nimbus ou un stratus? Combien de temps a-t-il perdu à dessiner un phénomène météorologique vaporeux sans aucun intérêt? L’enfant n’essaie pas de nous embrouiller et il dessine un nuage qui ressemble à un nuage. Bien joué bonhomme.
La signature
L’artiste, qui peut avoir tendance à se la raconter, croit bon d’ajouter son nom en bas de sa croûte. L’enfant, plus modeste (et bien souvent incapable d’écrire son nom) préfèrera ajouter une bonne vieille trace de doigt, à base d’encre ou même de Nutella.
Les indications textuelles
L’artiste semble auréolé d’une légitimité qui interdise d’apporter un complément d’information à son œuvre. En revanche, l’interprétation de l’enfant sera toujours jugée maladroite et nécessitera une explication apportée, le plus souvent, par la maîtresse. C’est par ailleurs cette dernière qui jugera (de manière totalement arbitraire) si l’œuvre de l’enfant mérite d’être exposé dans la classe. Est-ce que le conservateur du Louvre rajoute « radeau » avec une flèche au stylo sur « Le Radeau de la Méduse »?
Et vous, vous trouvez que vos enfants sont des artistes ou vous pensez qu’ils font les dessins les plus moches du monde ?