Ce jeudi matin au réveil les flux Twitter et Facebook ne résonnaient que d'une seule voix pour décrire l'horreur. L'horreur de la situation des migrants, fuyant principalement la Syrie, incarnée dans le corps sans vie d'un tout petit, si petit, noyé sur le bord d'une plage Turque. Image insoutenable en soi. Et peut-être encore pire depuis que je suis père et qu'une porte que je ne soupçonnais pas avant s'est ouverte sur tout ce qui touche aux enfants et donc sur ce corps inerte, si petit, la tête dans le sable. Alors je me suis interrogé. Beaucoup de questions et trop peu de réponses.
- Je me suis demandé combien il me faudrait d'images de plus pour prendre pleinement conscience de la catastrophe en cours.
- Je me suis demandé si c'était pareil pour les autres.
- Je me suis demandé pourquoi je n'avais honte, vraiment honte du laisser-faire et au final de mon indifférence, que maintenant après avoir vu tant d'autres images auparavant.
- Je me suis demandé combien de temps durait l'émotion, si cette honte serait encore là demain ou après demain, quand cette image aura disparu de nos flux et de nos conversations.
- Je me suis demandé si on prenait vraiment de bonnes décisions quand elles sont guidées par l'émotion.
- Je me suis demandé si les "migrants" qui risquent leur vie et celle de leur famille pour s'offrir une vie décente avaient quelque chose à foutre de mes considérations philosophiques, bien désuètes et confortables.
- Je me suis demandé si Sarkozy n'avait pas un goût bizarre dans la bouche ce matin en repensant à sa métaphore de la fuite d'eau savamment choisie pour expliquer il y a quelques semaines le problème des migrants.
- Je me suis demandé si on devait dire quelque chose sur Topito sur le sujet et ma réponse était oui, sans trop savoir encore sous quelle forme.
- Je me suis demandé pourquoi la rédaction et moi n'avions pas trouvé d'angle pertinent beaucoup plus tôt pour évoquer la situation critique des "migrants", alors que chaque matin nous nous efforçons de voir dans l'actualité ce qui serait susceptible de nous faire réagir, avec le regard décalé qui est le nôtre.
- Je suis me suis demandé pourquoi nous n'avions pas plus cherché, au fond.
- Je me suis demandé si on allait publier nous aussi cette photo que l'on voyait partout et qui a elle aussi déclenché cet article tardif, mais on a décidé que non. Pas parce qu'elle choque, c'est son but. Mais peut-être pour ne pas rentrer dans ce "jeu" soudain de ré-appropriation, peut-être un nouveau mal nécessaire, qui met d'abord ou autant en lumière facebookienne l'émotion suscitée temporairement que la cause qu'elle est censée défendre.
- Je me suis demandé si je n'avais pas oublié ce que j'avais ressenti après Charlie en me disant "à l'époque", il y a seulement 6 mois, que j'avais aussi une responsabilité d'alerter, en étant lu par autant de gens tous les jours, et cela même si ça sortait du cadre.
- Je me suis demandé à quel moment le citoyen se devait de prendre le pas sur le topiteur qui essaie de faire sourire
- Je me suis demandé, évidemment et naïvement sans doute, pourquoi on se mobilisait pas tous, individuellement et collectivement, pourquoi si c'était compliqué que ça, voire in-envisageable, pour faire quelque chose que la France avait déjà fait par le passé, à savoir accueillir massivement des populations dans le besoin.
- Je suis demandé combien d'autres causes comme celle-là, peut-être moins urgentes, peut-être moins visibles, méritaient aussi qu'on s'y intéresse.
- Je me suis demandé pourquoi j'avais attendu autant de temps pour écrire ça et essayer de vraiment comprendre.
- Je me suis demandé comment notre cerveau fonctionnait pour faire "comme si", dans quelques jours, une fois les clics remplacés par d'autres, comme si ce problème majeur n'existait pas, à nouveau, alors qu'il est à nos portes.
- Je me suis demandé si c'était normal, profondément humain, ou profondément dégueulasse de fonctionner comme ça.
- Je me suis demandé comment nous on finissait par avoir peur de l'arrivée de gens en détresse qui cherchent d'abord à sauver leur peau.
- Je me suis demandé comment je pouvais agir MOI le citoyen sans attendre l'Etat ou l'Europe, et puis peut-être vous. Je l'ai en partie trouvé en lisant cet article de Slate, qui donne quelques clefs pour donner et aider.
- Je me suis demandé encore comment on pouvait mourir à 3 ans, tout habillé, la tête dans le sable, si petit, si proche de chez nous, dans l'indifférence générale.
On ne pourra pas toujours s'en sortir en se cachant derrière un simple "que veux-tu que j'y fasse ?". Alors il est temps de s'y mettre avant que l'émotion ne retombe...
Pour mieux comprendre la situation en cours des migrants, découvrez la bonne vidéo du Monde sur le sujet
Migrants : la crise européenne expliquée en cartes