Il y a deux façons d’arriver sur cet article : soit vous êtes tombé dessus de manière totalement aléatoire ou alors vous venez juste de terminer le film Beau is afraid et comme 90% des gens vous n’avez rien compris ou n’êtes pas certain que ce que vous avez compris soit réellement ce que voulait montrer le film. Pas grave, vous n’êtes pas seul, d’ailleurs les 10% qui ont soit disant compris le film font juste semblant pour se la raconter, mais on va vous filer quelques pistes de réflexion pour essayer de comprendre certains aspects de cette oeuvre particulière.
Cinq parties bien distinctes (et deux flashbacks)
Afin de reprendre le déroulé du film dont la narration est chaotiquement maitrisée, nous allons résumer chaque partie en tentant de les analyser, pour essayer de comprendre qu’est-ce que c’est que tout ce bordel. Le film se découpe en cinq parties bien distinctes reliées par plusieurs flashbacks qui sont en réalité deux autres séquences. Du coup accrochez vous, parce qu’essayer d’analyser ce film est une entreprise aussi périlleuse que tenter de se raser les balloches avec une scie circulaire, ce que je vous déconseille fortement de faire.
Partie 1 : L'appartement de Beau
Le film commence par la naissance de Beau, un bébé qui ne réagit pas après l’accouchement et que les médecins sont obligés de gifler pour le stimuler. C’est la première chose qu’on voit de lui : il commence sa vie par une grosse baffe dans la gueule, et c’est important. L’histoire se poursuit et nous montre Beau adulte, un homme extrêmement peureux et angoissé qui vit dans un appartement miteux entouré d’un voisinage dangereux et flippant, tout est absolument chaotique et on voit très vite des gens probablement sous drogue et autres médicaments faire n’importe quoi dans sa rue. Bref c’est un cauchemar paranoïaque.
Beau se fait voler ses clés alors qu’il s’apprête à aller prendre son avion pour rendre visite à sa mère. Du coup il manque son vol, appelle sa mère pour la prévenir et se tape sa réaction bien passive agressive qui le fait culpabiliser. Il tente de prendre ses médicaments mais n’ayant plus d’eau chez lui il décide de courir à l’épicerie en face de son appartement pour acheter une bouteille. Manque de bol, le temps qu’il fasse tout ça des dizaines de drogués flippants s’incrustent dans son immeuble et prennent d’assaut son appart. Le lendemain, après les avoir dégagés il apprend que sa mère est morte et se retrouve dans l’obligation de se rendre aux obsèques. Il prend un bain pour se détendre et réalise qu’un type est accroché à son plafond, il lui tombe dessus, Beau prend peur et quitte son appartement nu avant de se faire planter par un psychopathe et écraser par un camion.
On voit assez vite la psychose ambiante qui habite la vie de Beau et nous plonge dans un profond malaise. On peut également (et surtout) voir que sa relation avec sa mère est toxique, et qu’il est flippé de tout mais principalement de celle-ci et de son jugement. Si chaque rencontre que fait Beau dans cette séquence est une agression (et chaque intervenant représente une phobie comme l’aquaphobie, la peur de la violence, la peur de l’intrusion, l’arachnophobie), la personne qui représente la plus grande peur est finalement complètement absente de l’écran : sa mère. J’attire votre attention sur un petit dernier détail : Beau est prêt à risquer sa vie pour aller chercher une bouteille d’eau et il se fait ensuite agresser dans son bain rempli d’eau. On voit aussi un enfant se faire engueuler par sa mère dans la rue alors qu’il joue avec un bateau en papier flottant dans une flaque d’eau. Y’a un truc avec l’eau dans le film mais on y reviendra.
Partie 2 : L'enlèvement
Après sa rencontre avec une lame de couteau et le pare-choc d’un camion, Beau est emmené par le couple qui l’a renversé pour être soigné, le mari étant médecin. Très prévenants et aux petits soins pour Beau, on comprend que le couple a perdu un enfant militaire à la guerre et a décidé de recueillir un de ses anciens camarades militaires qui a sombré dans la folie.
Beau se retrouve peu à peu (et malgré lui) à prendre le rôle du fils mort au combat et ces deux-là insistent pour le garder en convalescence le plus longtemps possible. Leur plus jeune fille lui fait d’ailleurs remarquer que pour elle il ne prendra pas la place de son frère, mais une fois de plus Beau est pris en otage dans la situation et ne contrôle absolument rien. Il se fait d’ailleurs emmener de force par l’adolescente blasée pour une virée en voiture où elle l’oblige à tirer sur un joint, ce qui le plonge dans un nouvel état de paranoïa. La jeune fille finit par se suicider devant lui en avalant de la peinture et les parents tiennent Beau pour coupable, ils lâchent alors le militaire violent à ses trousses pour le buter et Beau est obligé de fuir.
Tout le monde dans cette maison est sous médicaments, à fortes doses d’ailleurs, au même titre que les « habitants » du voisinage de Beau de la première partie. Les décors sont beaucoup plus colorés, plus chatoyants mais l’angoisse reste présente sous une autre forme. Cette fois si on a changé la cellule de la prison de Beau, ce n’est plus son appartement miteux mais une maison accueillante et ensoleillée, qui reste cependant toujours une prison. D’ailleurs chaque pièce est filmée et la mère montre à Beau qu’il est continuellement enregistré par des caméras. En regardant les bandes, Beau fait une avance rapide, ce qui nous permet de voir quelques plans de la suite du film qui donnent des indices sur ce qui arrive.
La jeune fille qui se suicide est finalement plus proche de Beau qu’on ne pourrait le penser, sa relation toxique avec ses parents qui décident de condamner la chambre de leur fils mort et ne lui prêtent plus vraiment attention depuis cet évènement tragique la pousse à se libérer de leur emprise de la manière la plus extrême qui soit, en mettant fin à ses jours. Et c’est finalement le thème principal du film, la relation (extrême) parents / enfants.
Partie 3 : La forêt
Après son évasion de la maison, Beau se retrouve en pleine forêt et tombe sur une troupe de théâtre qui vit dans les bois et s’apprête à commencer une représentation. L’histoire de la pièce est celle d’un homme qui regarde une pièce de théâtre qu’il pense être basée sur sa vie, et Beau se demande si cette pièce n’est justement pas une oeuvre sur sa propre vie (ouais, c’est tordu).
Dans le public il tombe sur un type qui lui dit qu’il connait son père et qu’il a travaillé avec lui alors que sa mère lui a toujours soutenu qu’il était mort juste après sa conception. Beau est donc presque persuadé que ce vieil homme est son géniteur et qu’il l’a enfin rencontré, mais au moment où il pense pouvoir lui poser plus de questions, le soldat fou arrive dans la forêt et bute tout le monde, forçant Beau à s’évader une fois de plus avant de se retrouver (à nouveau) complètement inconscient.
Cette séquence ne nous apporte pas tellement d’indices sur l’histoire (à part le fait que le père de Beau puisse encore être en vie) et le fait que Beau regarde une oeuvre qui ne le concerne pas mais qui lui donne l’impression de résonner avec sa propre vie pourrait être une mise en abîme de celle du vrai spectateur (vous) en train de regarder le film. Cependant si certains aspects du film résonnent avec votre vie je prie de tout coeur pour que ça s’arrange parce que c’est quand même pas gai du tout.
Les flashbacks : La croisière
On en parlait en introduction : à chaque fois que Beau se retrouve inconscient on aperçoit une partie de flashbacks qui constituent deux scènes. Après sa mésaventure dans la forêt on voit une nouvelle partie de la séquence sur un bateau de croisière où Beau était en vacances avec sa mère. Il y fait la rencontre de Elaine, une jeune fille de son âge dont il tombe rapidement amoureux et que sa mère désapprouve (forcément, vu que sa mère est une bonne grosse connasse possessive). Sa mère lui explique qu’il a une maladie rare héréditaire et qu’il mourra la première fois qu’il fera l’amour, comme son père serait mort pendant sa conception, et que du coup il doit rester puceau toute sa vie. On dirait bien qu’on a à faire à une mère castratrice.
Beau et Elaine trouvent un cadavre dans la piscine du bateau (encore un truc avec l’eau) et continuent de se rapprocher jusqu’à ce que la mère de la petite ne les sépare. Elaine fait promettre à Beau de rester vierge et de l’attendre jusqu’à ce qu’ils se retrouvent à l’âge adulte, ce que Beau fera. Inutile de vous indiquer que le bateau est en permanence au milieu d’une infinie étendue d’eau (je vous jure y’a un truc).
Les flashbacks : Le bain
L’autre flashback qu’on voit en plusieurs parties est une scène où Beau est enfant et prend un bain (mais dis donc, y’aurait pas encore de l’eau là dedans ?) pendant que sa mère lui parle. C’est une scène qu’on voit en partie au début du film lorsque Beau raconte ce « rêve » à son psychiatre. Il dit qu’il y avait un autre Beau en lui qui était plus courageux et osait demander à sa mère où était son père, mais celle-ci le punissait en l’obligeant à monter au grenier et ne plus jamais en parler. Dans cette deuxième partie de la séquence, on comprend en réalité que Beau est toujours dans la baignoire à la fin de la séquence et que le petit garçon qu’elle fait sortir et oblige à monter dans le grenier est peut-être son frère. Cette scène va avoir de l’importance par la suite donc gardez là bien en tête.
Partie 4 : Le retour à la maison et rencontre avec Elaine
Après son réveil, Beau arrive enfin dans la luxueuse maison de sa mère et découvre son corps décapité placé dans un cercueil. Il se promène dans la maison et regarde des photos accrochées au mur où on le voit enfant faire de la pub pour la multinationale pharmaceutique de sa mère. Peu à peu les photos de famille sont remplacées par des photos d’employés de la société de sa mère, comme si sa société était devenu un « second enfant » qui avait remplacé Beau dans la vie de sa mère après son départ. Et là si vous êtes attentifs vous reconnaitrez plusieurs visages présents dans la scène de son appartement : la plupart des fous sous médocs qui squattent l’appart de Beau sont en réalité des employés de sa mère. Tout comme son psychiatre qui bosse pour elle et lui retransmet toutes leurs séances.
Elaine arrive alors à la maison et tombe sur Beau qui apprend qu’elle a travaillé pour sa mère également. Après une discussion rondement menée, les deux personnages se retrouvent au lit, et même s’il en a très envie Beau tente de se sortir de la situation car il craint de mourir en faisant l’amour. Une fois de plus il n’est pas capable de s’affirmer et finit par jouir à l’intérieur de Elaine mais ne meurt pas, ce qui n’est pas le cas de la pauvre femme qui va passer l’arme à gaiche juste après un orgasme. La petite parenthèse de détente se termine et à nouveau le cauchemar reprend, et Beau se retrouve avec un cadavre sur lui alors qu’un nouveau personnage fait son entrée.
Partie 4 : Le retour à la maison et rencontre avec la mère
Juste après la mort d’Elaine, des gens arrivent pour retirer son cadavre et sa mère fait son entrée : elle n’est pas morte, c’était le corps de sa gouvernante qui a accepté de se sacrifier (que Beau avait reconnue). Et là on comprend que la mère a fait exprès de se faire passer pour morte uniquement pour que son fils vienne, ça vous donne une idée de la toxicité de leur relation. Elle lui annonce que presque tous les gens qu’il connait bossent pour elle (Elaine, son psy, son voisinage…), que son père est encore en vie et que globalement Beau n’est qu’une déception parce que c’est un enfant ingrat envers sa mère qui a sacrifié toute sa vie pour lui.
On comprend ensuite que la scène du rêve dans la baignoire était réelle « ce n’était pas un rêve mais un souvenir » lui balance sa mère, et elle lui conseille d’aller voir dans le grenier. Et là… Beau se retrouve face à une version de lui enchainée (son frère ?) et une énorme bite avec des couilles qui lui parle et lui dit qu’il est son père. Je ne plaisante pas.
Que faut-il comprendre par là ? Que son père est vraiment un genre de monstre bite géant ? Que c’est un symbole pour dire qu’il a tellement été absent dans sa vie et celle de sa mère qu’il n’a juste été qu’un appareil génital ? Et ce frère « plus courageux » qui est monté au grenier, est-ce vraiment un frère ou simplement la partie de Beau qui a été tuée par la sévérité de sa mère ? D’ailleurs, devant lui se trouve un bol d’eau presque vide, comme si l’absence de sa mère l’avait laissé mourir de soif. Mais avant même que Beau ne puisse réagir le militaire fou revient et bute son père (et crève pendant le combat aussi).
Beau quitte le grenier, se retrouve devant sa mère qui lui fait tout un tas de reproches et Beau commence à l’étrangler avant de s’arrêter, effrayé (une fois de plus) de ce qu’il vient de faire. La mère s’écarte de lui, trébuche et se retrouve à chuter pour aller s’exploser plus bas sur une table en verre. Ce coup ci, elle est morte.
Partie 5 : Le procès
Et nous arrivons à la dernière partie du film, une séquence assez courte mais encore bien étrange. Après avoir « tué » sa mère, Beau se fait la malle et sort de la maison avant d’arriver à une petite barque qu’il utilise pour tenter de s’évader… Sur de l’eau (tiens tiens tiens). Il heurte quelque chose avec sa barque et des projecteurs s’allument, montrant un genre de théâtre géant ou de stade où un public fait de silhouettes sombres regardent l’action. On voit réapparaitre sa mère avec un avocat et on comprend rapidement qu’on est en train d’assister au procès de Beau, jugé pour avoir été un mauvais fils.
Beau a également un avocat pour le défendre, qu’on entend à peine et qui est rapidement tué par le public, plongeant Beau dans une terreur encore plus intense. C’est là que l’avocat de la mère montre plusieurs passages de la vie de Beau qui le décrivent comme un enfoiré, sauf qu’à chaque fois ces moments sont exagérés et Beau tente de se justifier sans être écouté. Il s’excuse, ça ne sert à rien, la barque prend feu, commence à couler, Beau s’enfonce dans l’eau et crève, le public commence à se lever et quitter le lieu du procès (attention, allégorie du public qui se lève dans le cinéma) et hop, fin du film.
Une vision horrifique de l'amour étouffant et de la surprotection
Et voilà, vous venez de voir (grossièrement) l’histoire d’une relation toxique entre une mère passive agressive surprotectrice et son fils qui n’a jamais réussi à s’émanciper. Beau a peur de tout, pour la simple et bonne raison que sa mère lui a toujours fait comprendre qu’en s’éloignant d’elle il serait continuellement en danger. Tout est un danger, même le simple fait de jouir pourrait le tuer, parce que jouir veut dire rencontrer une autre femme et s’éloigner de sa mère. Beau est conditionné depuis son plus jeune âge à comprendre que la mort l’attend s’il quitte le nid. Son voisinage est chaotique, cauchemardesque et toutes les personnes qui se trouvent dehors veulent l’agresser, parce que finalement à part sa mère personne ne lui veut du bien.
Beau is afraid est l’antithèse du récit initiatique dans lequel le héros est séparé de ses parents, doit combattre le monstre qui les lui a enlevé, rencontre des amis qui l’aideront sur sa route et finit par triompher. Dans l’histoire Beau, le monstre est sa mère, il refuse l’aide de toutes les personnes qu’il croise parce qu’il en a peur, il est trop effrayé pour se battre, n’arrive pas à terrasser le monstre et est finalement tué par lui parce qu’il a échoué.
On peut penser que la mère de Beau contrôle toute sa vie même quand il est loin d’elle (ses employés vivent à côté de chez Beau et le tourmentent, probablement pour qu’il aille la retrouver) et finalement chaque chose qu’elle lui a répété toute sa vie a réussi à rentrer dans son crâne. Beau est toujours puceau parce qu’il sait qu’il mourra s’il couche avec une femme, il se méfie des autres parce qu’il sait qu’ils lui feront du mal, il n’ose même pas réellement dire du mal de sa mère à son psy… Le seul moment où Beau arrive à s’émanciper est pendant la scène dans la forêt, où il sort du schéma tracé pour entrevoir ce que serait sa vie s’il tentait quelque chose, mais il revient vite dans les sentiers battus.
Reste la symbolique de l’eau au travers du film, qui pourrait être une allégorie de l’amour de sa mère (voire de sa mère elle-même). On peut d’ailleurs entendre des bruitages d’eau en fond à plusieurs moments du film (dont au tout début pendant la naissance de Beau). D’autre part le nom de famille de Beau et sa mère est Wasserman (« homme eau » en allemand) et finalement chaque scène qui représente de l’eau est une vision de la vie ou de la mort (le corps dans la piscine, le procès sur la barque avec la noyade de Beau, la baignoire dans laquelle il est attaqué et presque tué, la gammelle d’eau vide de son « frère » dans le grenier…). Pas assez d’eau (d’amour) peut faire mourir, mais trop peut noyer, et la mère de Beau contrôle à chaque fois le débit d’eau (d’amour) et par extension la vie de son fils.
Alors, vous y voyez plus clair ?