L’autre jour, alors que je descendais tranquillement ma petite pinte de cidre dans un pub parisien, j’ai remarqué, sur une banquette, deux jeunes personnes le nez rivé sur un béret plein de pins. Au début, je me suis dit « han cute, c’était surement le béret du papi d’un des deux, et ils regardent ça avec beaucoup d’amour ». Quand au bout d’une heure et demie, ils avaient toujours les yeux rivés sur le chapeau, j’ai commencé à trouver ça chelou, et à prier pour que ça ne soit pas un date flippant pour l’un des deux. J’ai eu vite ma réponse quand j’ai vu débarquer 20 nouvelles personnes, toutes coiffées d’un béret à pin’s. C’était pas le béret du papi, donc. Mais c’est quoi cette affaire ?
Les faluchards portent "la faluche"
Et si vous vous demandez ce qu’est une faluche : c’est un large béret en velours qu’ils décorent de pin’s et de rubans. Les faluchards sont ceux qui portent la faluche. Ça se tient.
Pourquoi dit-on « faluche » et pas « béret » ? Par analogie avec la « faluche », pain typique du Nord de la France, dont les formes sont très similaires.
La faluche n'est pas décorée n'importe comment
C’est en quelque sorte le « CV » de l’étudiant. On y trouve ses initiales, un insigne propre à la filière de son bac, des emblèmes propres aux « réussites » ou « redoublements », les surnoms des parrains, les passions, la devise… C’est ce qu’on appelle « le circulaire ». On trouve ensuite un écusson de sa ville de naissance, celle d’études ou encore une partie sur les voyages. L’intérieur de la faluche est appelé « le potager » : c’est l’endroit où sont mises toutes les choses un peu secrètes. On ne peut regarder dans une faluche sans en avoir l’autorisation.
C'est né en 1888
Le 12 juin de cette année-là, les étudiants parisiens sont invités à l’université de Bologne pour fêter ses 800 ans. Ils y rencontrent des étudiants italiens qui portent la tenue de la Goliardia, des Espagnols qui portent les Tunas, des Allemands ou des Suisses qui assortissent leur tenue d’une casquette. Les étudiants italiens remettent aux Français une « orsina », coiffe colonaise créée pour l’occasion. C’est cet événement qui va déclencher la volonté des étudiants français de porter une coiffe distinctive : à leur retour, ils adoptent la faluche.
On parle de "confrérie estudiantine mixte"
Un mot un peu fourre-tout pour désigner ce qui n’est reconnu ni comme une association, ni comme une secte. En revanche, les rumeurs racontent que cette organisation serait dans les fiches des renseignements généraux pour ses pratiques occultes. En 1888, la préfecture de Paris les avait même interdits.
Il existe un code des faluchards
Un code baptisé, en toute humilité, « code national ». Rien que ça. C’est ce code qui régit la signification des pins, mais également la règle de la bande de tissu : en gros, en bas de la faluche, il y a une bande qui peut être colorée. Cette couleur n’est pas choisie au hasard : elle est rattachée à un domaine d’étude. Par exemple, elle sera rouge pour les étudiants en médecine, bleue pour les futurs architectes ou jaune pour ceux qui étudient la sociologie.
Ce code, et donc les couleurs, peut différer d’une ville à une autre. Il est disponible en ligne !
Ils entretiennent le "mystère"
Pas d’association officielle, pas d’inscription à l’accueil de la fac : les faluchards procèdent par le bouche-à-oreille, où en allant se promener en meute dans les bars, faluches vissées sur le crâne. Les initiés cultivent les secrets autour de l’organisation, alimentent avec plaisir les fantasmes et rumeurs autour de probables rites d’intégration. Pour Slate, un initié expliquait « On raconte des bobards de défis extrêmes et dégueulasses, comme ça on éloigne les curieux ».
Une mauvaise réputation les précède
La faute aux mythos pas glorieux qu’ils colportent, mais aussi à leurs règles historiques. Si certains affirment que cela ne se fait plus aujourd’hui, les faluchards de l’époque avaient pour règle que « le faluchard qui regarde dans la faluche d’un autre membre doit coucher avec lui ». On n’est donc pas sur l’association qui a brisé le tabou du viol et qui a remis en lumière la question du consentement.
On accuse leurs "baptêmes" de flirter dangereusement avec le bizutage
Une accusation que les initiés réfutent, expliquant que quelqu’un qui ne veut pas faire quelque chose n’est jamais forcé à le faire. Pourtant, toujours selon Slate, un faluchard ne raconte jamais quels défis il a dû relever pour entrer dans la ronde. La personne interviewée explique seulement avoir relevé « quatre-vingts défis en quarante-huit heures ». 80, même si c’est juste réciter l’alphabet en rotant, ça fait beaucoup.
Pablo Picasso a peint des faluches
Vous n’avez qu’à jeter un œil à ses tableaux « Étudiant à la pipe » et « Faluche Étudiant au journal » pour en juger par vous-même.
Certains insignes sont quand même très intimes (et intrusives) (et vraiment problématique)
En se baladant sur le code national en ligne, dans la rubrique des insignes et de ce qu’elles signifient, on découvre qu’il existe la feuille de vigne pour symboliser la perte de virginité masculine, un personnage pendu pour une personne marié ou pacsé (glauque la symbolique), une rose pour la perte de virginité féminine, un symbole un brin humiliant pour l’homosexualité (un squelette à l’envers avec un diamant entre les jambes), une flèche pour les « éjaculateurs précoces », un couteau pour les « fins baiseurs », et j’en passe.
Un peu toxique quand même, nan ?
Faluche, ça vache ? (Vous l’avez ? C’est « salut, ça va ? » mais avec des « che » à la finche. Mdrche.)