Depuis 6 mois, on entend parler continuellement du Venezuela sans vraiment comprendre ce qu’il s’y passe. Le pays, qui dispose de la plus grande ressource pétrolière mondiale, n’est pas épargné depuis 60 ans par les crises politiques, mais celle-ci fera date. Alors que les manifestations organisées contre le pouvoir de Nicolas Maduro ont fait 105 morts en 5 mois et que le président cherche à se relégitimer via l’élection d’une assemblée constituante, faisons un point sur les forces en place et les enjeux en cours.
La mort de Chavez a déstabilisé le pouvoir
Très populaire, Hugo Chavez a surfé sur une situation économique très favorable pour mener une grande campagne de redistribution. Les richesses dégagées par le pétrole permettaient sous son mandat de créer de nombreuses aides sociales en direction des classes populaires ultra-majoritaires et qui n’avaient jamais eu accès, auparavant, à la manne pétrolière. Malgré une dérive très autoritaire du pouvoir, Chavez était largement aimé et faisait face à une opposition centralisée dans quelques bastions riches, principalement animée par des idées anticommunistes.
Lorsqu’il s’est retiré, malade, en 2013, Chavez a clairement appelé à voter pour son successeur, Nicolas Maduro. Puis Chavez est mort, et Maduro n’a pas bénéficié de la même popularité.
Nicolas Maduro, un héritier contesté
Aux élections de 2013 et malgré le soutien d’un Chavez pas en forme, Maduro n’a remporté que 50,66% des suffrages. Moins charismatique, plus apparatchik que Chavez, Maduro a récupéré un pays essoufflé par 15 ans de chavisme et n’a pas su asseoir son autorité comme le faisait le comandante. Résultat, sa popularité n’excède pas 24% d’opinions favorables. C’est bien sûr lié à sa personnalité, mais aussi et surtout à une situation qui a changé drastiquement au carrefour des années 2010.
La criminalité est très présente
Si le chavisme a permis à des centaines de milliers de personnes de sortir de la misère, un des grands échecs du régime a été la lutte contre la criminalité. Le Venezuela demeure l’un des pays les plus dangereux et les plus violents du monde. Le taux de morts violentes pour 100.000 habitants atteint 92, un record mondial, à faire passer le Mexique pour un des mondes de Disneyland. Cette situation épuise peu à peu le pays et est un argument de poids pour l’opposition.
Le Venezuela subit une crise économique sans précédent
Le Venezuela est la plus grande réserve de pétrole mondiale. La baisse soudaine du prix du pétrole à l’international a donc conduit à un amoindrissement drastique des ressources du pays. La manne pétrolière, qui finançait les aides sociales, n’a plus été suffisamment profitable pour assurer leur maintien. Maduro a commencé à supprimer des aides sociales faute de moyens pour les financer et le pays a commencé à connaître une inflation record qui atteint jusqu’à 800%. Les magasins ne sont plus approvisionnés, il n’y a même plus de pain, et les Vénézueliens se retrouvent à faire 35 heures de queue par semaine pour pouvoir bouffer. C’est la catastrophe, et elle touche principalement le coeur électoral des chavistes : les classes populaires.
L'opposition a changé de structure
Face à cette situation, l’opposition s’est structurée et a gagné des rangs qui jusqu’alors étaient acquis au pouvoir. Si, sous Chavez, l’opposition était essentiellement constituée des classes moyennes hautes et des riches qui se retrouvaient sur une ligne américaniste, elle a désormais conquis le coeur des classes populaires. L’opposition a remporté les élections législatives de décembre 2016 et poursuit l’unique objectif de forcer Maduro à quitter le pouvoir. Mais cette opposition très large est mal structurée : derrière l’opposant Henrique Capriles, certains souhaitent trouver une solution à la crise dans les urnes, quand d’autres, plus radicaux, veulent faire tomber le pouvoir de la rue.
L’autre problème, c’est que Capriles, qui a réussi à réunir 49% des suffrages sur son nom en 2013, est dans la merde. Visé par le volet international de l’enquête Petrobras, il a été déclaré inéligible pour 15 ans, ce qui l’empêche de fait de se présenter aux élections présidentielles de 2019. Capriles est un genre d’oligarque local et n’est pas apprécié non plus dans le pays.
Des manifestations violentes ont lieu depuis six mois
Depuis 2016, à l’appel de l’opposition, les Vénézueliens descendent régulièrement dans la rue pour demander le départ de Nicolas Maduro. Ces manifestations sont très violentes : plus de 100 personnes sont mortes en moins d’un an. Ces manifestations ressemblent plus justement à des émeutes et le pouvoir les réprime assez durement.
L'armée est plutôt légitimiste
Pour essayer de renverser la situation, l’opposition, et notamment Capriles, appellent à la désobéissance des forces armées, mobilisées pour contrôler les manifestations. Mais l’armée est légitimiste, car elle est l’un des corps qui a le plus bénéficié du chavisme. Chavez, qui avait fait l’objet d’un coup d’Etat et s’était vu rétabli par l’armée, a choyé les militaires en sachant l’importance de les conserver de son côté : revalorisations salariales, équipements améliorés… Pour l’heure, l’armée reste fidèle à Maduro.
En mars 2017, la Cour suprême a rétro-pédalé après avoir esquissé un début de coup d'Etat
Confronté à une assemblée d’opposition, Maduro a recouru à la Cour suprême, laquelle a décidé de s’arroger le pouvoir législatif. Par capillarité, cela faisait de Maduro un dictateur plénipotentiaire, mais le durcissement de l’opposition a forcé les chavistes à reculer. En revanche, la Cour suprême a levé l’immunité parlementaire des élus, ouvrant la voie à des condamnations plus ou moins arbitraires, à l’image de celle (pas arbitraire pour deux sous, celle-là) qui touche Henrique Capriles.
Maduro a organisé l'élection d'une assemblée constituante, mais le peuple compte la boycotter
Dimanche 30 juillet, Nicolas Maduro a organisé l’élection d’une assemblée constituante pour essayer de calmer le jeu. Son calcul est simple : l’opposition comptant boycotter l’élection, cette assemblée devrait être acquise à sa cause et donc le relégitimer, ce qui pourrait par exemple lui permettre de reporter l’élection présidentielle de 2019 afin de conserver le pouvoir. Mais l’opposition, pour protester contre la manoeuvre, a organisé une grève générale qui sévit depuis deux jours. 92% des Vénézueliens ont suivi cet appel à la grève qui paralyse le pays encore plus qu’il ne l’était déjà. La grève pourrait se poursuivre au-delà des 48 heures prévues, si Maduro ne renonce pas à son projet d’assemblée constituante.
La communauté internationale en embuscade
Le régime vénézuelien est soutenu par Cuba, tandis que les Etats-Unis mettent la pression sur le gouvernement. Le gouvernement américain a ainsi gelé les avoirs de 13 hauts responsables vénézueliens. C’est une sorte de mini-guerre froide qui se joue à ce niveau, les Etats-Unis espérant voir l’opposition reprendre le pouvoir pour pouvoir bénéficier des ressources stratégiques du pays et cherchant à déstabiliser encore plus le pouvoir.
Et nous on se plaint des APL…
Sources : Le Monde, Sud Ouest, Le JDD, France Culture