Depuis une trentaine d’années, on tend à tout rapprocher de la génétique. Des opinions politiques à notre habilité au volant, on cherche dans le génome des réponses à toutes les situations que l’on est à même de rencontrer dans la vie. Sauf que le génome ne peut pas tout résoudre ; la part de l’acquis est évidemment très importante dans notre appréhension des problèmes quotidiens. Pour autant, il est intéressant de mesurer à quel point notre patrimoine génétique peut nous orienter vers certaines carrières, vers certains comportements ou vers certaines positions sociales.
L'empathie (pour partie)
Une étude menée à l’université de Berkeley par Aleksandr Kogan s’est penché sur le problème suivant : pourquoi la perception de l’empathie cognitive (et non pas l’empathie affective) est-elle différente selon les individus ? Pour faire simple, pourquoi tend-on à faire confiance à quelqu’un plutôt qu’à quelqu’un d’autre, et ce quasiment au premier regard ? L’hypothèse de départ était que, pour un gène donné, celui à l’origine de la production d’ocytocine, une combinaison d’allèles spécifiques seraient à l’origine d’une plus grande empathie cognitive. Du coup, les chercheurs ont recruté une vingtaine de personnes, analysé leur ADN et ont classé ces cobayes selon les typologies : 10 personnes présentaient la combinaison GG, 10 la combinaison AA, et 3 une combinaison AG. Ensuite, Kogan a filmé ces individus tandis qu’ils discutaient, chacun écoutant l’autre sans parler pendant une dizaine de secondes.
Puis il a monté les enregistrements à des gens extérieurs qui devaient attribuer une note d’empathie et de confiance à chacune des personnes filmées en train d’écouter. Tous les scores élevés d’empathie perçue sont tombés sur ceux présentant le gène de type GG.
Pour autant, cette empathie cognitive n’explique pas totalement l’empathie affective, celle qui fait que l’on ressent réellement ce que l’autre ressent. Cette dimension n’est pas codée par la génétique mais par l’expérience.
Le gène du nomadisme
La question n’est pas si claire, mais une étude relayée par le Wall Street Journal en 2014 a mis en lumière l’existence d’un « gène du nomadisme », une allèle, en réalité, qui pousserait ses porteurs à plus facilement s’expatrier. Cette allèle au gène DRD4 (ce qui n’est pas le nom d’un droïde), serait répandue à hauteur de 20% dans la population et consisterait en un récepteur de dopamine à même de contrôler notre niveau de sécrétion dans le cerveau. Les porteurs de l’allèle DRD4-7R seraient plus enclines à chercher des expériences à même de susciter une importante sécrétion de dopamine. L’allèle est aussi liée à notre capacité de prise de risque, notre curiosité, mais également aux excès en tout genre, depuis l’alcoolisme jusqu’à la toxicomanie.
Les études prouvent en tous les cas un lien fort entre la recherche d’aventure et la présence de cette allèle, mais comme d’habitude, l’environnement entre aussi en ligne de compte, de même que les opportunités.
L'appétit pour certains types de bouffe
Pourquoi est-ce qu’on trouve certains trucs dégueulasses alors que d’autres considèrent que c’est le truc le meilleur du monde ? Posons les vraies questions. Dès 1931, le chimiste Arthur Fox qui avait un nom badass et pas mal de capacités, avait établi un lien entre l’ADN et la perception des goûts, quand un collègue à lui avait fait sa pleureuse à propos d’une poudre volatile au goût très très amer que Fox manipulait ; pour Fox, cette poudre n’avait ni goût, ni odeur. On mena l’expérience auprès d’autres personnes pour finalement se rendre compte que le public jugeait le goût de la poudre de manière totalement différente, certains la jugeant extrêmement amère et d’autres aussi plate que de l’eau. Et on se rendit compte que tout ça était commandé par les diverses variations du gène TAS2R38, qui transmet au cerveau les informations quant au goût. De la même manière, une étude plus récente, de 2005, a étudié le lien entre le goût des enfants pour les bonbons et ce même gène. En réalité, les personnes qui n’aiment pas trop le sucre, ou pas trop le sel, sont des gens qui ressentent les goûts plus fort que les autres ; ils sont rapidement dépassés par ce qu’ils mangent et ont moins d’appétence pour les trucs qui sont trop concentrés.
Mais bien sûr, plein d’éléments extérieurs interviennent là encore ; le tabagisme, l’hygiène bucco-dentaire, tout un tas de trucs qui influent sur le goût en plus du gène lui-même.
Notre habilité à conduire bien
L’Université de Californie a publié en 2009 une étude prouvant que le cerveau sécrétait, pendant des activités complexes, une protéine nommée BDNF. Cette protéine permet aux cellules de fonctionner à plein régime en favorisant l’apprentissage et en stimulant la mémoire. Codée par un gène, cette protéine est sécrétée en moindre quantité chez les personnes présentant, sur ledit gène, une certaine allèle. Celles-là auront plus de difficulté à enregistrer de nouvelles informations et à corriger leurs erreurs durant ces mêmes actions complexes.
Pour étayer leur propos, les chercheurs ont mis à l’épreuve des individus présentant les deux types de codage de l’allèle dans une situation où les actions sont bel et bien complexes : la conduite automobile. Et ça n’a pas manqué : sur un circuit difficile, les personnes présentant la variation génétique n’arrivaient pas, tour après tour, à améliorer les erreurs qu’ils avaient commises au début de l’épreuve, contrairement aux autres participants. Environ un tiers de la population présenterait cette allèle différenciée.
La capacité à casser les codes
En gros, le lien entre la sécrétion de sérotonine et propension à casser les codes, à chercher à s’émanciper de la norme ou des cadres, a été clairement établie par les chercheurs. L’idée, c’est que plus on sécrète de sérotonine, plus on a envie de sortir de la norme. Jusque là, d’accord. Sauf que la quantité de sérotonine que l’on sécrète est directement déterminée par notre ADN (et un tout petit peu par l’environnement). Et ce qui est marrant, c’est que cette capacité à casser les codes est aussi directement liée à la popularité perçue : une personne plus aventureuse est en effet souvent plus populaire, ce qui explique pourquoi le gros branleur du fond de la classe ramassait toutes les filles. Ce qui fait que la popularité perçue a une origine pour partie génétique.
Le talent musical
Deux histoires parallèles et assez marrantes. D’une part, une étude suédoise, menée sur des vrais jumeaux dont certains avaient pratiqué la musique et pas forcément l’autre. Exposés à une batterie de tests pour déterminer leur niveau de capacités à comprendre et jouer de la musique, les jumeaux ont montré exactement les mêmes habilités, quel que soit leur temps d’exposition à la pratique musicale dans leur vie : une preuve que notre propension à comprendre la musique est génétique. D’ailleurs, la propension à jouer d’un instrument est aussi en partie déterminée génétiquement selon la même étude. Pour autant, on peut encourager tout le monde à jouer d’un instrument : cependant, tout le monde ne pourra pas devenir virtuose.
Par ailleurs, le syndrome du savant est un autre cas intéressant et assez rare. Il concerne des personnes qui, sans apprentissage musical, se réveillent d’un traumatisme crânien avec la capacité de jouer plein d’instruments. Pas génétique directement, mais en partie, puisque ce syndrome traduit une hypertrophie de l’hémisphère gauche pour compenser le traumatisme subi à droite. Comme si l’apprentissage d’un instrument était une chose magique que l’on comprenait en tant que tel. Ce qui ne dispense pas de pratiquer un instrument mais qui est révélateur sur la capacité de chacun à saisir et faire de la musique.
La paresse
En avril 2013, une étude parue dans l’American Journal of Phisiology a mis en lumière le lien entre la flemme et notre patrimoine génétique. L’étude n’a pas été menée sur des humains, mais sur dix générations d’une famille de rats. Les rats étaient placés dans une cage avec une roue et les chercheurs observaient les rats pour déterminer lesquels était plus à même de faire naturellement de l’exercice. Ceux-ci sont été séparés du groupe, de même que les rats les moins actifs, puis l’opération a été répétée sur dix générations. Résultat : les descendants des rats actifs étaient jusqu’à 10 fois plus motivés par l’exercice que les descendants des rats flemmards. 36 gènes ont ensuite été identifiés comme faisant partie prenante du processus de motivation.
Notre rapport au café
Selon la revue médicale Molecular Psychiatry, la manière dont nous assimilons la caféine et notre propension à en consommer de manière raisonnable ou excessive seraient en partie génétique. Une étude a été menée sur 120.000 buveurs de café avec une analyse quantitative de leurs modes de consommation. Ensuite, ces résultats ont été corrélés à des tests ADN en fonction des grandes familles de consommation. Et les scientifiques ont établi un lien existant entre certaines variations des gènes et les besoins de caféine. Deux de ces gènes sont liés à la métabolisation de la caféine, deux à ses effets sur le cerveau et les deux derniers à la métabolisation du gras et du sucre. Mais tout ça mis bout à bout n’explique que très partiellement notre rapport au café qui obéit aussi à beaucoup d’autres règles environnementales.
La propension à avoir la gueule de bois
Des études indiquent que notre capacité à connaître ou non la gueule de bois pourrait avoir une origine à 40% génétique. Des études ont ainsi été menées sur de larges populations pour déterminer le lien entre récurrence d’un état de gueule de bois quand on picole un peu trop et génome. Les résultats ont confirmé que la capacité de chacun à tenir l’alcool d’une part et à ne pas trop souffrir le lendemain étaient en partie inscrite dans son patrimoine génétique. Ce qui ne veut pas dire qu’on peut picoler comme un sac parce qu’on est exempt de douleur le lendemain.
Nos opinions politique
En fait, ce n’est pas tant nos opinions politiques réellement, mais notre tendance au conservatisme. Les études sur cette question se multiplient, et le champ de recherche en la matière a même son propre nom, la génopolitique. Dès 1986, une étude mettait en évidence la plus grande propension des jumeaux homozygotes à partager les mêmes opinions politiques que les jumeaux hétérozygotes. En réalité, ce sont les grandes orientations politiques qui sont sondées : le rapport à l’autre, à la guerre, à la violence, à la tradition ou à la nouveauté… Le fonctionnement du cerveau est influencé par certains gènes qui privilégient le conservatisme ou au contraire l’envie de changement.
Pour autant, la part d’acquis est réelle, car grandir dans un milieu conservateur ou libéral tend aussi à façonner des positionnements politiques orientés vers le conservatisme ou le libéralisme. Et il existe aussi une foule de questions conjoncturelles que la génétique ne nous a pas programmés pour traiter. Mais bon, c’est amusant à savoir.
Ce moment de gène où tu te rends compte que tu n’est que de la chimie.
Sources : Listverse, Science Daily, Slate