Tout le monde a un jour ou l’autre mis les pieds dans une grande surface. Et tout le monde a eu un jour ou l’autre affaire à (voire même maille à partir avec) une variété de clients bien particulière: ceux que l'on désigne pudiquement sous le gentil euphémisme de "Seniors". Le Sénior est une personne en cessation d’activité qui considère que son âge lui donne droit à certaines prérogatives, dont il sait user-pour ne pas dire abuser parfois. Non content de déambuler à une allure de gastéropode tout en exhibant fièrement-et en toute impunité- une arme de catégorie 6, (canne anglaise ou parapluie) le croulant occupe le peu de temps qu'il lui reste à pourrir la vie des jeunes (c'est-à-dire toute personne ne faisant pas pipi sous elle). Et le supermarché est son terrain de chasse favori, il est donc judicieux de les éviter. On vous aura prévenu.
- Le vieux fait des barricades
Le croûton gare son véhicule au plus près de l’entrée. Quitte à squatter sans aucun état d’âme les places réservées aux mamans accompagnées de jeunes enfants qui courent partout en hurlant. Le vieux prendra même un malin plaisir à regarder lesdites mères de famille plonger peu à peu dans la dépression pendant qu'il trottinera à la vitesse d'une Lada en bas d'une côte vers l'entrée. Entrée bien bouchée par l'antiquité sans direction assistée qui lui sert de véhicule. Les vieux sont narquois. - Le vieux optimise l'emmerdement
La personne âgée ne fiche rien et dispose donc de toute la journée pour faire ses courses, mais dans un souci de nuisance exacerbée, la personne âgée susnommée prendra soin de venir au moment opportun. C'est-à-dire l'heure de pointe, quand elle pourra faire chier le plus de monde en peu de temps. L'on pourrait penser naïvement qu'une fois sa besogne accomplie, le Senior quittera les lieux avec la satisfaction du travail bien fait. Que nenni. Les vieux périment souvent jusqu'à l'heure de fermeture. Il faut dire qu'une fois sur deux, ils ont oublié d'acheter des poireaux, ou même la raison de leur présence. Les vieux ont une vie pleine de rebondissements. - Le vieux est violent
Les vieux sont fourbes et retors. Non contents de voir les chariots s'écarter sur leur passage telle la Mer Rouge devant Moïse, leur laissant un passage royal pour déambuler à travers les rayons, ils conduisent leur propre caddy comme un Panzer dans les Ardennes lors de la Bataille de France. Ils cartonnent opportunément toute personne (obstacle) mesurant moins d'un mètre vingt, et vous pousseront rageusement leur char d'assaut de fortune dans le fion si jamais vous n'avancez pas assez vite à leur goût. Ce qui est ironique quand on sait l'inertie qu'ils sont capables de déployer quand il s'agit de mollusquer devant un choix cornélien de boîtes de conserve. Les vieux sont taquins. - Le vieux est mondain : la plupart du temps aux fraises, la personne du temps jadis est toujours ravie de croiser un de ces congénères-même s'il s'agit de son voisin qu'elle a sous le pif depuis 20 ans. De fait, elle l'interpellera joyeusement par un subtil et tonitruant "alors, on fait les courses?". Comme il est très peu probable que l'intéressé(e) réponde "Ben non tu vois bien, j'me prostitue", s'en suivra une longue conversation hurlée (ces gens là sont durs de la feuille) à travers le rayon Surgelés, les deux interlocuteurs ayant soin de barrer perpendiculairement la route dans les deux sens avec leurs caddies-Panzer. Les vieux ont le sens de l'à-propos.
- Le vieux fait des réserves, plein
La personne dont la date de péremption aurait dû prendre effet il y a deux siècles a la profonde conviction d'être en temps de guerre. Raison pour laquelle sa liste longue comme une partie de crapette est destinée à le garantir d'une pénurie de produits de première nécessité (colle à dentier, couches pour adultes, fayots en boîte, Viandox...). La vieillerie déambulera dans les rayons en vous collant le train afin que vous puissiez vous rendre utile et aller lui chercher les boîtes-en-haut, car percluse qu'elle est par son arthrose/arthrite/rhumatisme, elle est bien sûr dans l'incapacité de se servir. En revanche, si vous faites mine de le déplacer (le chariot, pas le Senior), le débris sénile retrouvera miraculeusement toute sa jeunesse pour vous toiser de toute sa cataracte, toutes canines sur pivot dehors. Les vieux sont effrayants. - Le vieux a le souci du détail
La boucherie, haut lieu social de de cette engeance cacochyme, permet aux vieux de s'amuser à vos dépens tout en préparant le prochain radotage pour la salle d'attente du médecin, car les vieux commencent presque toujours leurs phrases par "j'en parlais justement hier à la boucherie". En l’occurrence, aujourd'hui vous aurez droit à "j'en parlais justement hier chez le docteur". Et quand vient enfin son tour, le calvaire reprend: le vieux aura besoin de deux heures d'intense réflexion et d'études comparatives poussées pour choisir un steak mais "un tendre, hein, pas comme la dernière fois". Les vieux sont très exigeants. - Le vieux donne un aperçu de l'éternité
Arrive l'heure fatidique du passage en caisse. Vous remarquerez que, quelle que soit l'heure à laquelle vous- qui avez autre chose à faire de vos journées que de roupiller devant Amour Gloire et Beauté- effectuez votre ravitaillement hebdomadaire, un "ancien" trouvera toujours moyen de se glisser devant vous au moment de payer; ce qui laisse planer le doute quant à un éventuel complot. Pour ça comme pour le reste, la personne prétendument gâteuse mettra un temps fou, aussi peu pressée par l'heure de fermeture imminente que par le spectre de la Mort planant inexorablement sur sa silhouette voûtée. Les vieux rendent paranoïaques. - Le vieux aime négocier
Prenons le cas de figure dite de l'insidieuse coercition: si elle n'a qu'un seul article (disons un tapis de baignoire anti-dérapant), la personne moisie vous implorera grâce à la phrase consacrée: "je peux passer? Je n'ai qu'un seul article, merci z'êtes bien urbain(e) jeune fille/jeune homme". Vous aurez donc droit à d'interminables élucubrations sur la réélection prochaine du Général. Dans le second cas de figure, la personne âgée a blindé son chariot de façon à reconstruire le Mur de Berlin dans sa cuisine. Elle prendra bien évidemment tout son temps pour disposer les articles, car elle en a à revendre. (du temps et des articles). Elle se délectera donc de votre déconfiture en posant un par un ses yaourts. Les vieux sont vicieux. - Le vieux est pingre
Arrive le moment fatidique du paiement. Le vieux sortira son porte-monnaie où dort son bon argent(souvent en francs) aux côtés de sa carte de fidélité du magasin, ah non ça c'est celle du Franprix, mais j'étais sûr(e) de l'avoir prise en partant nom d'une pipe en bois de Saint-Claude! Quand ce ne sont pas les bons de réductions minutieusement conservés depuis 1976 qui donnent envie à la caissière de finir le vieux à coups de caisse enregistreuse. Mais bon, un sou est un sou, et les vieux sontaffreusement radinséconomes. - Le vieux est un torpilleur économique
Avec un peu de chance, la vieille peau utilisera un chèque, et vous rendrez grâce à la machine qui le remplit automatiquement, ou sa carte bancaire. Reste à espérer qu'elle n'a pas oublié son code. En revanche, les choses se corsent si le vieux paye en espèces. Car il va bien entendu vouloir "donner l'appoint", puis va compter avec difficulté ses pièces de 5 centimes au risque de flanquer le contenu du porte-monnaie par terre, agrémentant l'incident du traditionnel aphorisme plein de sagesse: "ah ben ça pousse pas sur les arbres hein..." Les vieux sont impitoyables. - Le vieux est jusqu'au-boutiste
Ca y est, ce terroriste des grandes surfaces a payé, ses courses sont rangées dans des cabas, eux-mêmes soigneusement rangés dans le chariot. Mais il ne part pas pour autant: il faut encore vérifier le ticket de caisse. De préférence en stagnant DEVANT la caisse tel un bloc de béton, feignant d'ignorer votre rage exponentielle qui ne demande qu'à exploser. Les vieux sont épuisants.
Et vous, vous avez les mêmes dans le Carrefour le plus proche ?
Top écrit/inspiré par bloodyweasel