On a tous un peu enjolivé notre CV, en expliquant les vastes responsabilités qu’on a eues en stage et le fait que c’est bien nous qui faisions tourner la boutique. Mais rien de comparable avec ces champions du monde de l’usurpation d’identité qui ont construit leur existence toute entière sur le mensonge. Rarement intéressées, souvent pathologiques, parfois tragiques, ces impostures ont toutes suffisamment fasciné au point d’inspirer des livres et des films, preuve que la réalité nous pond parfois des histoires trop tordues pour la fiction.
Léo Taxil, celui qui dénonçait le complot maçonnique
Difficile de savoir à qui, finalement, profite le crime. A la fin du XIX°, Léo Taxil s’est présenté comme un ancien franc-maçon converti au catholicisme qui s’était fixé comme dessein de décrire le culte sataniste de la maçonnerie. Cette théorie du complot alimentera le fantasme des sociétés secrètes (qui existe encore aujourd’hui) et servira les antidreyfusards à l’orée d’un XXème siècle agité. Son histoire est brillamment racontée dans Le Cimetière de Prague de Umberto Eco.
George Psalmanazar, celui qui revenait de Formose
Au tout début du XVIIème siècle, Londres voit arriver Psalmanazar. Le bougre nous vient de Taiwan (Formose, à l’époque) et décrit son île d’origine comme un paradis sur terre (avec des coutumes un peu curieuses, les hommes étant autorisés à dévorer leurs épouses infidèles). Le voyageur, né en réalité dans le sud de la France, va jusqu’à inventer une langue et sort un livre dans lequel il décrit par le menu son faux pays natal et ses habitants, vêtus de caches-sexes en argent et en or. Quelques années plus tard, après avoir essayé de vendre des éventails de là-bas, il avouera son imposture. Belle performance quand même.
Amala et Kamala, les orphelines élevées par des loups
Joseph Amrito Lal Singh, directeur d’un orphelinat du Bengale occidental, explique un jour dans un journal avoir découvert deux petites filles de 8 ans et environ 18 mois élevées au sein d’une meute de loups. Rapidement, l’affaire prend de l’ampleur et les récits presque ethnographiques de Singh tiennent en haleine le public. Il faut dire qu’il n’y va pas de main morte, Singh : les filles sont dotées de « mâchoires surdéveloppées », « marchent à quatre pattes » et tutti quanti. Mais rapidement, l’explication s’effondre et l’on découvre que Singh prend un malin plaisir à maltraiter l’aînée, déficiente mentale, en se servant de cette histoire à dormir debout pour justifier les blessures sur son corps et ses attitudes apeurées.
Archibald Belaney, Joe l'Indien
Dans pas mal de villes de France, on trouve un taré, habillé été comme hiver en Indien, sorte de célébrité locale qu’on surnomme Joe. Archibald, alias Grey Owl, a été au bout de ce délire : au début des années 1920, fasciné par les Amérindiens qu’il croisait, il s’est inventé un passé de peau rouge et s’est auto-proclamé porte-parole de la cause amérindienne. Il écrit alors des bouquins, signe des films pour sensibiliser à la protection de l’environnement et court les colloques. Au fil du temps, on comprendra qu’il est en réalité né en Angleterre et originaire d’Écosse. La révélation fera scandale après sa mort, mais Belaney sera finalement réhabilité pour son engagement en défense de la nature et des peuples premiers.
Philippe Berre, le conducteur de travaux
Philippe Berre trouvait sans doute que les travaux de l’autoroute A28 n’avançaient pas assez vite. Une espèce menacée de scarabées avait en effet conduit les défenseurs de l’environnement à mener des actions en justice pour interrompre le chantier, situé en plein coeur de la Sarthe. Les travaux étaient au point mort. Sentant le bon coup, Philippe, un escroc notoire, a débarqué dans le coin sous l’identité d’un ingénieur chargé du projet. Il a embauché une dizaine de personnes et fait venir du matériel, accumulant des dettes immenses et redonnant un espoir monstre à la population en mal d’activité. Son histoire inspirera un film, A l’Origine, et cela encouragera surement l’escroc à remettre ça 12 ans plus tard, après le passage de la tempête Xynthia en 2010, en se faisant passer pour un fonctionnaire du Ministère de l’Agriculture procédant à des réquisitions de carburant. Militant héroïque pour certain, il est surtout un imposteur incarcéré depuis 2012 pour la justice.
Misha Defonseca, la survivante de la Shoah
Quelle histoire ! Misha, 8 ans, aurait parcouru 3000 kilomètres à pied à travers l’Europe pour fuir l’Holocauste, protégée par les loups. De quoi écrire un livre (ensuite adapté en film sous le titre Survivre avec les loups). Et c’est à cause de ce film que tout a capoté. Un différend financier entre l’éditeur et les producteurs mènera à la révélation de la mythomanie de Misha Defonseca. L’affaire secouera durablement le monde de l’édition et donnera même son nom à un syndrome psychologique mêlant mythomanie et imposture.
Martin Guerre, le revenant
Au mitan du XVIème siècle, Martin s’embrouille avec son père pour une sombre histoire de vol de grain et quitte la région où il vivait, abandonnant sa petite famille. Plus de nouvelles. Mais huit ans plus tard, débarque dans le village un type qui assure être Martin Guerre, de retour au pays, près à se réconcilier avec les siens. Et c’est vrai qu’il lui ressemble. Et c’est vrai qu’il a l’air de tout connaître du village. Mais entre-temps le père de Martin Guerre est mort et la question de l’héritage entre en ligne de compte pour déterminer s’il s’agit ou non du vrai Martin Guerre. On monte un procès pour tirer l’affaire au clair et, coup de tonnerre, à la dernière minute du procès apparaît le VRAI Martin Guerre, une jambe en moins… Ça valait bien un film avec Depardieu.
Lobsang Rampa, l'homme qui quittait son corps par transmigration
Une bonne imposture exige des informations invérifiables. Et Cyril Henry Hoskin, né en 1910 en Angleterre, en a trouvé une imparable : il aurait donné son enveloppe corporelle à un lama tibétain, Lobsang Rampa, qui en a profité pour écrire des bouquins, dont le best-seller Le Troisième Oeil, fondateur du mouvement New Age. Sauf que le mec, jusqu’ici installateur d’équipements chirurgicaux au chômage, ne parlait pas tibétain du tout, et ne connaissait même carrément rien au bouddhisme. Comme quoi, mentir un peu sur son CV, ça ne fait jamais de mal. La parole à la défense:
Jean-Claude Romand, le médecin réputé
L’histoire de Jean-Claude Romand n’a pas inspiré un film, mais bien 3 films, 3 ou 4 bouquins, autant d’épisodes de séries policières américaines et une émission de Christophe Hondelatte (carrément). Il faut dire que l’histoire de ce type qui a menti pendant 18 ans à ses proches sur un prétendu boulot de médecin et chercheur à l’Organisation Mondiale de la Santé avant de trucider sa famille a de quoi fasciner. Si vous voulez tout savoir sur Romand, récemment libéré, on a un top dédié à l’affaire Jean-Claude Romand.
Frédéric Bourdin, le mec qui est resté jeune
La force de ce type au QI impressionnant, mais clairement complètement taré, c’était de faire croire à 30 ans qu’il était un élève de 4ème tout à fait normal à Grenoble. Sauf qu’avant ça, il n’avait pas seulement été en 6ème et en 5ème, mais aussi 6 ans en prison aux Etats-Unis pour usurpation d’identité. Il avait choisi l’identité d’un enfant disparu pour se planquer. L’affaire révélée, Bourdin a fasciné la planète entière et un documentaire, The Imposter, lui a été consacré.
Blaise Cendrars, celui qui avait pas mal baroudé
Baroudeur manchot et métaphysique, Blaise Cendrars a passé sa vie à décrire des choses qu’il ne faisait qu’imaginer. Voyage en transsibérien, chasses en Afrique, Cendrars n’a rien fait de tout ça. Il n’a pas plus cherché d’or dans le far-west ou descendu le fleuve Congo. Bercé de littérature d’aventures et de poésie, Cendrars s’est efforcé toute sa vie de maintenir l’ambiguïté sur sa production littéraire et sa vie, faisant le récit, à l’écrit comme à l’oral, d’aventures merveilleuses qu’il n’avait jamais vécues. Et c’est précisément parce qu’il ne les avait jamais vécues qu’elles en devenaient merveilleuses, car elles correspondaient parfaitement à l’idéal romantique qu’il voulait leur insuffler. Toute la production de Cendrars, parce qu’elle est mensongère, est unique et personnelle et c’est en cela qu’il est l’un des plus grands poètes du XX° siècle. Bien ouej. Lavilliers a cherché à faire pareil.
Frank Abagnale, celui qui pouvait se faire passer pour n'importe qui
On connaît l’histoire de Frank Abagnale depuis qu’elle a été adaptée par Spielberg dans Attrape-moi si tu peux. Arnaqueur de génie, menteur, voleur, faux pilote à 16 ans, superviseur médical usurpé à 18, avocat sans diplôme, séducteur patenté, il finit par se faire gauler ; mais c’est là que son parcours devient génial parce que plutôt que de croupir derrière les barreaux, Abagnale se démerde pour se faire embaucher comme consultant par le FBI sur les affaires de fraudes. Avant de fonder une boîte qui rapporte du blé. Et de devenir un genre de figure d’escroc admirée partout dans le monde.
Jeffrey Papows, celui qui avait un CV impressionnant
CEO de Lotus Corp, une énorme entreprise de vente de logiciels, Jeffrey Papows avait réussi à obtenir son poste à la faveur d’un CV exceptionnel. Orphelin, devenu pilote de chasse dans la marine avec des états de service exceptionnels, docteur en ingénierie, ceinture noire de taekwondo, rescapé d’un grave accident d’avion ayant entraîné la mort de son copilote, de quoi impressionner tout le monde.
Sauf que tout était faux. Absolument tout. Y compris la partie sur ses parents morts. Un mensonge qui avait permis à Jeffrey Papows de devenir l’une des 500 plus grandes fortunes des Etats-Unis.
Janet Cooke, le Prix Pullitzer
Journaliste émérite, lauréate du prix Pulitzer pour son reportage Le monde de Jimmy publié dans le Washington Post et relatant la vie d’un jeune héroïnomane, Janet Cooke avait tout pour elle. Elle était polyglotte, avait bossé pour les plus grands journaux et se targuait d’une intégrité professionnelle exemplaire. Sauf que son reportage a peut-être eu un peu trop de succès : après vérification, personne n’a jamais pu retrouver la trace de ce fameux Jimmy, pas même le gouvernement américain. Devant les doutes qui affleuraient, Janet Cooke a fait l’erreur d’en rajouter une couche sur son CV en rajoutant des langues rares dans la section Langue et Informatique. Ça a mis la puce à l’oreille de ses supérieurs, lesquels ont fini par la démasquer en l’interrogeant en français, une langue qu’elle parlait soi-disant parfaitement et qu’elle ne parlait en fait pas du tout du tout.
N’empêche qu’elle a eu le Pulitzer.
Stéphane Bourgoin, le spécialiste des tueurs en série
Attention, ce point est à prendre au conditionnel, car l’affaire n’a pas été jugée. Toujours est-il que depuis 30 ans, quand on parle de serial killers en France un nom revient systématiquement : celui de Stéphane Bourgoin. Spécialiste autoproclamé du sujet, Bourgoin en est venu à s’intéresser aux tueurs en série après l’assassinat de sa femme par l’un d’entre eux aux Etats-Unis dans les années 80. Son intérêt et son expertise lui ont permis d’ouvrir bien des portes. Il est l’une des seules personnes au monde, hors FBI, à avoir pu s’entretenir longuement avec des tueurs américains, parmi lesquels Charles Manson. Il a également accompagné des tueurs sur les lieux de leurs crimes avant même leur arrestation. De ces expériences, il a tiré nombre de livres et de récits et est devenu une personnalité incontournable des conférences et émissions true crime.
Sauf qu’apparemment, tout cela serait faux. Archi-faux. Bourgoin se serait contenté, toutes ces années, de reprendre à son compte des articles, des livres et des entretiens réalisés par des membres du FBI ou des polices étrangères. Pire : on n’a pu retrouver aucune trace de la femme de Bourgoin ni du tueur en série qui l’aurait supposément assassinée. De fait, on se retrouverait face à un menteur patenté, fasciné par la violence des tueurs en série et prêt à tout pour obtenir une visibilité médiatique.
Ca fait un peu flipper.