WOW WOW WOW, c’est quoi encore, ce truc ? Le concept, forgé dans les années 1990 par Joseph P. Overton, désigne « le spectre d’idées acceptables par la société ». Or, cette fenêtre est mobile et se déplace au rythme ou le périmètre de l’acceptable évolue. Mais comment ? Eh bien, en confrontant une idée radicale à une idée encore plus extrême, on banalise la première et on élargit le périmètre du « dicible ». Dans l’idée, ce qui nous choque, nous choque par contraste : l’idée inacceptable devient acceptable quand on nous propose bien pire. Donner un bout de ta pizza : inacceptable. Donner la moitié de ta pizza : pire. Du coup, donner un bout de ta pizza, finalement… acceptable.
L'expérience de Robert Cialdini
En 1975, le psychologue social américain commence par demander à des étudiants de se porter volontaire pour accompagner, bénévolement, de jeunes anciens détenus au zoo, un dimanche soir. Taux d’acceptation : environ 10%. Il demande ensuite à des étudiants de devenir bénévole dans un centre de détention à raison de deux heures par semaine, sur une longue période. Taux d’acceptation : 1%. Il enchaine ensuite, se montrant compréhensif face au refus, et réitère sa première demande d’accompagnement au zoo. Cette fois, 3 fois plus de personnes acceptent de prêter main forte. Il s’exerce ici une sorte de manipulation, jouant sur la culpabilité et le compromis. On parle de « procédure de la porte-au-nez ». (Source.)
"Si on est au SMIC, il ne faut peut-être pas divorcer"
La phrase choc et très polémique prononcée par l’éditorialiste Julie Graziani en 2019, dans le « 24 heures Pujadas ». Pour de nombreuses personnes, ce « dérapage » n’en est pas un. Pour eux, la déclaration s’inscrit directement dans une stratégie politique de l’extrême droite, reposant sur la fenêtre d’Overton. En effet, comme l’explique le chroniqueur Clément Viktorovitch, Julie Graziani est éditorialiste pour « l’Incorrect », magazine fondé par les proches de Marine Maréchal Le Pen. Or, cette dernière avoue avoir « conceptualisé le combat culturel » : l’idée qu’il faut d’abord influencer l’opinion publique pour gagner une élection. Pour cela, on utilise des éditorialistes, envoyer en franc-tireur, pour élargir la fenêtre d’Overton en faisant des déclarations les plus outrancières possibles. Par comparaison, les opinions politiques jugées inconcevables deviennent alors recevables.
Zemmour et la thématique de l'immigration
C’est un fait : la question de l’immigration est aujourd’hui dans la bouche de tous les candidats, alors qu’elle appartenait autrefois aux partis d’extrême droite. L’entrée de Zemmour dans la course à la présidentielle n’y est pas pour rien ! Depuis des années, il crée régulièrement la polémique en adoptant des positions radicales sur le sujet (ce qui lui aura valut quelques petites condamnations… oups). Mais en faisant cela, il ne se rend pas seulement détestable : il déplace également l’opinion publique sur le sujet, et donc, fait bouger la fameuse fenêtre d’Overton. Selon le sociologue Erwan Lecoeur, sa stratégie est justement de rendre dicibles des « choses qu’on ne pouvait pas dire il y a dix ans » comme l’association entre « l’islam et l’islamisme » ou « le grand remplacement ». En février dernier, selon les sondages, 48% des Français se disent inquiet de ce « grand remplacement » (une idée introduite en 2010 par l’écrivain Renaud Camus) alors que la question ne se posait pas vraiment lors des dernières élections.
... conséquence : Marine Le Pen semble... adoucie ?
Parmi les conséquences les plus flagrantes de cette guerre des mots entamée par Zemmour : Marine Le Pen, jusqu’à lors considérée comme la plus radicale des candidates, semble adoucie, presque plus cool (spoiler : c’est faux, ses opinions sont toujours les mêmes qu’il y a 5 ans). Il y a deux raisons à cela : la première, déjà évoquée, est que son discours paraît plus acceptable que le discours extrême de Zemmour. La deuxième, c’est que lorsque qu’elle devient présidente du FN en 2011, elle décide de lisser son parti pour entamer sa « dédiabolisation ». Elle se rapproche donc du « dicible », de la fenêtre d’Overton. Résultat : elle laisse vide la place « radicale », parfois « ridicule », occupée jusque-là par son père. Devinez qui a décidé de s’en emparer ? Oui, Zemmour, se rapprochant du discours du père Le Pen et incarnant alors une droite plus dure qu’elle ne l’avait été depuis longtemps. (Tout ça est très bien expliqué dans la vidéo, juste au-dessus.)
Trump, propulsé à la présidence grâce à cette stratégie
Exagérer, tenir des propos chocs, annoncer des mesures trash pour relativiser les vraies idées radicales : si l’extrême droite française semble bien maîtriser le truc, c’est aussi vrai outre-Atlantique ! Idées radicales, propos chocs, discours difficilement soutenables, ça ne vous rappelle pas quelqu’un ? Allez, je vous aide : TRUMP. C’est d’ailleurs l’élargissement de la fenêtre d’Overton qui a permis son élection en 2016. Durant toute sa campagne, il utilise les réseaux sociaux pour diffuser et populariser les idées racistes et misogynes de l’Alt Right (ultra-droite américaine) dans le débat politique. Trump multiplie notamment les partages de mèmes racistes sur Twitter, alors que d’ordinaire, les candidats les dénoncent. En agissant de la sorte, par des actions choquantes, il parvient à déplacer le dicible dans la société et à rassembler suffisamment pour remporter les élections. Effrayant.
Alain Finkielkraut, et la culture du viol
« Violez! violez! violez! Je dis aux hommes: violez les femmes. D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs.” : les terribles propos tenus par le philosophe et écrivain sur le plateau de « La Grande confrontation » en 2019. Et ce ne sont (malheureusement) pas les seules interventions difficilement soutenables de cet homme, à la télé, sur la question du viol et de la pédocriminalité. A l’heure de l’affaire Duhammel, il a notamment remis en cause la question du consentement. Fort heureusement, à force d’essayer de déplacer la fenêtre d’Overton, Finkielkraut a fini par se faire claquer la porte au nez pas LCI. Ciao.
Poutou ouvre la fenêtre d'Overton sur la question policière
« La police tue » : la phrase lâchée par le candidat en octobre dernier, en référence notamment aux affaires de Steve Maia Caniço à Nantes et Rémi Fraisse dans le Tarn. Si ce discours lui aura valu une plainte, déposée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, elle aura aussi ouvert la fenêtre d’Overton : en prononçant cette phrase, polémique et jugée inacceptable, il repousse les frontières de l’acceptable et ouvre la question au débat publique. Sa large diffusion dans les médias a fini par infuser l’opinion publique. (Source.)
Sandrine Rousseau, la tentative de déplacer la fenêtre à gauche
Sandrine Rousseau, figure politique de EELV, a, elle aussi, choisi de choquer pour banaliser. Parmi ses dernières propositions extrêmes « mettre en place un délit de non-partage des tâches ménagères », faisant intervenir le politique dans le privé. L’enjeu est-il vraiment de rendre la mesure souhaitable ou envisageable ? Pas sûr. Déplacer la fenêtre d’Overton vers les idées d’une gauche modérée ? Plus probable. Comme les autres, en tenant des propos aussi radicaux, elle contribue à légitimer des idées de gauche plus pondérées. Je ne vous réexplique pas le processus, vous avez saisi.
Attention attention, opérer des changements massifs de conscience sociale n’est pas QUE négatif. La preuve : le droit de vote pour les femmes, le mariage pour tous, la PMA pour toutes, l’abolition de l’esclavagisme, le droit à l’IVG,… : toutes ces avancées (qui, au passage, montrent bien que tout n’était pas mieux avant) ont pu exister car les opinions se sont modifiées !
Sources : France Culture, Le Monde, RTBF