C’est pas parce qu’on porte des lunettes et qu’on aime bien écrire des trucs qu’on n’aime pas aussi boire des petits coups avec des petits amis et refaire le monde en rentrant chez soi bourré. Oui, ma conception de l’amitié est sans doute un peu trop éthylique, mais c’est souvent celle aussi de nos amis écrivains qui partageaient plus que des rayonnages à la Fnac.
Tolkien et CS Lewis
Les auteurs du Seigneur des anneaux et du Monde de Narnia étaient super potes dans la vie. Lewis et Tolkien se sont rencontrés à Oxford et partageaient les mêmes intérêts (la religion, la mythologie nordique et tout un tas de trucs qui font que quand tu rencontres un autre mec qui aime les mêmes choses, t’es trop content parce que vous n’êtes pas nombreux). Tolkien et Lewis organisaient des dîners, les Inklings, au cours desquels ils partageaient leurs doutes et leurs envies sur leurs projets en cours en compagnie d’autres amis auteurs. Malgré des rivalités réelles et certains désaccords artistiques, ils sont restés amis tout au long de leur vie.
Montaigne et La Boétie
C’est l’amitié canonique de l’histoire littéraire : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». L’auteur des Essais, cauchemar des étudiants en 1ère L et son pote à qui l’on doit le Discours de la servitude volontaire sont devenus très intimes à partir de 1558. Ils faisaient pleins de trucs de potes du XVI° siècle, comme deviser gaiement de choses et d’autres et sans doute critiquer le roi sous cape. L’amitié entre les deux hommes aura une fin tragique, car La Boétie meurt précocement à 32 ans d’une sale maladie. Montaigne lui rendra hommage dans ses Essais.
Aragon et Drieu la Rochelle
Tous deux figures bientôt excommuniées du surréalisme, Aragon et Drieu se sont retrouvés d’un bout à l’autre du spectre politique, le premier devenant communiste et le second fasciste dans l’entre deux guerres. Mais ils n’ont pour autant pas totalement effacé l’amitié réciproque qui les liait. En 1925, Drieu dédie son premier roman à Aragon ; la première rupture apparaît peu après, en raison de jalousies mutuelles. Drieu, collaborationniste, continuera pourtant de chérir Aragon, passé en résistance. En 1944, il écrit dans son journal une supplique pour que rien n’arrive à Aragon, quels que soient les faits qui pourraient lui être reprochés par l’occupant. Cela vaut aussi pour Malraux et Gallimard.
Truman Capote et Harper Lee
Depuis leur enfance Truman Capote et Harper Lee sont les meilleurs amis du monde. Entre le chroniqueur et auteur mondain et l’écrivaine, une relation d’entraide et d’amitié s’instaure, à tel point d’ailleurs que certaines mauvaises langues iront jusqu’à suggérer que Truman Capote a coécrit Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. C’est faux, bien sûr. Nés à deux ans d’intervalle au milieu des années 20, Capote et Lee se connaissaient de l’enfance lorsque le petit Truman avait été confié à des tantes en Alabama. De là, une complicité jamais démentie. Truman Capote demanda d’ailleurs à Harper Lee de l’aider à mener ses recherches pour la rédaction de De sang froid et c’est grâce à son talent pour mettre les gens à l’aise que l’auteur réussit à recueillir tous les témoignages nécessaires à l’élaboration du livre.
Byron et Mary Shelley
Poète pionnier du mouvement romantique, Lord Byron, qui a eu droit à son biopic par Kubrick, était très ami avec un autre poète, Percy Shelley. Et donc avec sa femme, Mary, qui allait tout simplement créer la littérature horrifique quelques années plus tard en publiant Frankenstein. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un voyage commun à Genève que Byron et Mary Shelley se sont amusés à raconter chacun leur tour des histoires de fantômes. Lesquelles ont inspiré Frankenstein.
F. Scott Fitzgerald et Ernest Hemingway
Des Américains à Paris : Fitzgerald et Ernest Hemingway évoluaient dans le même cercle de la bohème artistique dans les années 1920, fréquentaient Gertrude Stein et s’admiraient l’un l’autre. Hemingway, déjà connu lors de son exil, a beaucoup oeuvré à la reconnaissance de son pote que d’aucuns considéraient comme un prétentieux insupportable. C’est Hemingway qui, le premier, a convaincu les éditeurs de prendre Fitzgerald au sérieux.
Orson Welles et Marcel Pagnol
Orson Welles n’était pas à proprement parler un écrivain, mais c’était un auteur et il a également publié des romans. Pagnol, lui, est probablement l’auteur le plus prolifique et touche-à-tout du début du XX°, tantôt écrivain, scénariste, metteur en scène et réalisateur. En septembre 1946, Orson Welles débarque à Marseille pour fuir l’anticommunisme américain et demande à rencontrer Raimu, qui vient de mourir. C’est donc sur Pagnol qu’il tombe ; de là, le début d’une belle amitié comme on dit à la fin de Casablanca.
Mario Vargas Llosa et Gabriel García Márquez
La plus éphémère et la plus fusionnelle des amitiés d’écrivains. Marquez et Llosa, figures complémentaires et antagonistes du renouveau de la littérature latino-américaines, se sont beaucoup admirés avant de se fâcher par jalousie et pour des raisons politiques. Garcia Marquez est le parrain du fils de Mario Vargas Llosa et celui-ci a consacré sa thèse à l’oeuvre de son aîné. Tous deux couronnés de succès en 1967, les deux écrivains se sont rencontrés par hasard pour se rendre à un salon littéraire ; de là, une amitié sans faille, du moins jusqu’à ce jour de 1976, quand le Péruvien a décoché un énorme coup de poing dans la tronche du Colombien lors d’une avant-première. En cause, une histoire de femme, apparemment, Vargas Llosa soupçonnant sa femme d’avoir couché avec Marquez mais, plus vraisemblablement, leurs dissensions à propos du régime castriste. Ils ne se parleront plus jamais.
Ils se sont tant aimés.