C’est la grève et les esprits s’échauffent. Gauche contre droite, soutien des grévistes contre usagers mécontents et surtout pris en otage, c’est important, ça, d’être pris en otage. Parlez-en à Beltrame, un peu, de votre prise d’otage : ah non vous ne pouvez pas, il est mort. Beltrame aussi, il devait être contre les grèves, mais ça n’empêche pas que c’était un mec bien qui a essayé de faire son boulot. Inutile donc de se fâcher, on peut discuter en rappelant quelques vérités.
"Et dire que c'est mes impôts qui payent ça"
Bah pas trop en fait. La SNCF a beau être une entreprise publique, elle a des objectifs de rentabilité. En 2016, l’entreprise a réalisé des bénéfices. En réalité, l’essentiel de la dette du chemin de fer français est plutôt liée à RFF, le réseau ferré de France, c’est-à-dire l’administration des voies. Par ailleurs, l’Etat n’a versé que 11 milliards d’euros à la SNCF en 2017 pour un chiffre d’affaires, en 2016, de 33 milliards d’euros. Les contributions de l’Etat ne visent qu’à palier la dette structurelle de l’entreprise. En réalité, ce sont bien les billets vendus qui paient le fonctionnement de l’entreprise, laquelle a même réalisé un bénéfice net de 500 millions d’euros en 2016. Quant au montant des contributions étatiques liées au statut des cheminots, elles ne dépassent pas 5 milliards d’euros, soit rien du tout.
"A au moins dans leurs grèves, là ils sont jamais en retard, hein, hein, haha, allez, elle est bonne, "jamais en retard" hein, haha"
90% des trains français arrivent à l’heure. Alors c’est chiant quand ils arrivent en retard, hein, mais 9 fois sur 10 ils arrivent à l’heure. Voilà.
"Les mecs ont des privilèges qui durent depuis des années, alors que leur métier se résume à appuyer sur un bouton et attendre comme des cons que leur train démarre."
Bon sur le métier en lui-même, je vais rien dire, je peux pas saquer les contrôleurs. Mais sur les privilèges, encore une fois, faut pas déconner. Comme l’expliquait un cheminot, oui, ils ont la sécurité de l’emploi, un truc qu’ils ont choisi au détriment d’un bon salaire. Le salaire médian des cheminots est très bas. Plus d’infos ici.
"Et moi comment ça se passe si je fais grève moi à l'hôpital, hein hein ? Et ben voilà, et ben voilà"
"Entre ça et le fraude aux allocs..."
Les fraudeurs représentent 0,36% des bénéficiaires et le montant total de la fraude est de 270 millions d’euros, en gros. La fraude réelle, elle, serait au pire de 1,5 milliard d’euros. La fraude fiscale, elle, représente 80 milliards d’euros par an.
"Regarde la Chine et ben la Chine ça bosse, là y a pas de grèves, et regarde leur croissance, et ouais mon pote"
Faut-il rappeler que la Chine est un pays autoritaire avec un parti unique, une répression des journalistes d’opposition, et aucun syndicat indépendant. Et par ailleurs, quand il y a grève en Chine, parce qu’il y a parfois des grèves en Chine, voilà ce que ça donne.
"Et dire que pendant ce temps-là, les gauchos de la magistrature martyrisent ce pauvre Sarko"
Je vous encourage vraiment à lire cet article de ces gauchos de Décodeurs qui ne prend pas partie mais explique très très bien la situation et revient à la fois sur les éléments à charge et à décharge dans l’affaire du financement lybien de la campagne de Sarko.
"De toute façon, il faut privatiser tous les services publics, c'est la seule manière de les sauver"
Ca se discute. En réalité, si on réfléchit bien, dire que parce que l’argent privé permet plus d’investissement, il faut privatiser le service public pour en garantir la qualité, c’est un peu débile : si y’a tellement d’argent privé, l’Etat pourrait aussi en récupérer une partie pour financer les services publics. L’idée de service public est par nature incompatible avec la nécessité de gagner de l’argent. Viser l’équilibre budgétaire, c’est sain, mais la rentabilité en elle-même est contraire à l’idée de service. Or, une entreprise privée cherche par nature à obtenir des bénéfices. Il y a donc maldonne dès le départ.
L’exemple des partenariats public-privé pour la construction est parlant : si on prend l’exemple du stade Pierre Mauroy, de Lille, on se rend compte que, faute de liquidités suffisantes, la collectivité a opté pour un tel partenariat. La construction du stade, qui aurait dû lui coûter 300 millions d’euros si elle l’avait financée, lui coûtera au final près d’1 milliard en raison des termes de ce partenariat.
Pour autant, l’idée d’un meilleur service rendu par des structures plus souples que la fonction publique n’est pas fausse. On peut aussi assouplir le fonctionnement des institutions sans forcément privatiser.
"Déjà qu'Hidalgo nous fait chier avec la voiture, si en plus y'a plus de trains..."
Hidalgo prend cher. On peut ergoter sur la pertinence de la fermeture des quais de Seine mais au bout d’un moment, le sens de l’histoire, c’est la disparition de la bagnole pour les petits trajets et c’est comme ça. Alors oui, c’est insupportable pour ceux qui habitent loin et bossent à Paris, mais l’objectif est de proposer une meilleur infrastructure de transports, par d’encourager la bagnole qui pollue. D’autant que ceux qui hurlent sur Hidalgo n’habitent en général pas à Aulnay mais plutôt dans le XVI° et ne supportent pas de prendre le métro parce qu’il y a des gens qui puent, c’est tout. A Aulnay, les gens n’ont pas toujours le fric pour avoir une bagnole.
"Les mecs passent leur temps à faire grève en France. Tout pour pas bosser."
Ecoutez, moi si je pouvais ne jamais bosser, je ne bosserais jamais. Et vous probablement aussi. Encore faut-il rappeler que les cheminots ne sont pas exactement payés à rien foutre, puisqu’ils ne sont pas payés quand ils font grève. Pas payés du tout. Or, on peut douter qu’ils soient multimillionnaires, sans quoi ils ne seraient pas cheminots, probablement. Donc ça fait chier, de perdre de la thune. Donc ils n’ont rien à y gagner, techniquement.
Les mecs de droite auront de toute façon quelque chose à y répondre.