En temps de guerre, ou plus vraisemblablement en temps de crise, il est bon de faire preuve d'ingéniosité, et de lorgner du côté du potager sauvage qui pousse effrontément si, parmi toutes ces mauvaises herbes, ne se cacherait pas un trésor légumineux. Voici donc le top 10 des légumes à redécouvrir en cas de coup dur.
- Le Scorsonère : le scorsonère est un genre de salsifis noirs dont on mange les racines. Ce sinistre légume présente de troublantes similitudes avec le pissenlit: on dira alors plaisamment à propos des amateurs de scorsonères qu'ils bouffent les pissenlits par la racine.
- La Vitelotte :la Vitelotte, pomme de terre intégralement bleue, voire violacée pour les plus hardies d'entre elles, peut être considérée comme une patate en robe de soirée. Son aspect "couleur de cerne et de lilas" comme disait Apollinaire, n'inspire que moyennement confiance. En effet, même les chips de vitelotte ont l'air malade
- Le Topinambour :aussi appelé "artichaut de Jérusalem", ou encore "poire de terre"(sic), le topinambour est un tubercule fruste, vivace, et exceptionnellement résistant au froid. Bref, en temps de paix, une saloperie utilisée par les limaces comme toboggan. Le topinambour manque cruellement de délicatesse et peut se faire rapidement envahissant. En revanche, en temps de guerre, il devient l'aliment de base des transactions clandestines de légumes, voire la monnaie courante des contrées rurales les plus reculées où le taux du topinambour est (encore de nos jours)plus élevé que celui de l'euro.
- Le Rutabaga : hybride douteux du chou frisé et du navet, ce légume médiocre dont la rugosité n'appelle pas à la sympathie est en bonne place derrière le topinambour au classement des légumes dont la seule évocation fait claquer du dentier les rescapés de la Seconde Guerre Mondiale. Le rutabaga, il faut bien le dire, n'a aucune prestance.
- Le Chinedérape : ce brocoli calabrais d'une rare laideur pourrait faire passer le rutabaga pour un légume distingué. Il n'y a guère qu'en temps de guerre qu'on peut décemment envisager de bouloter ce légume aussi infâme que le jeu de mots précédent. Le chinedérape ressemble à un oignon verruqueux, d'où sa très faible
représentation dans la peinture baroque du XVIe siècle.
- Les orties :plante herbacée urticante, la grande ortie est également utilisée à des fins alimentaires et dans l'expression consacrée: "faut pas pousser mémé dans les orties", ce qui tend à démontrer que même accompagnées de légumes, les personnes âgées ne sont définitivement pas comestibles.
- Le Pâtisson :à l'instar du courgeron, ce cucurbitacée au physique accidenté ne bénéficie pas d'un patronyme porteur de rêve et d'évasion. Il est vrai que le pâtisson n'est rien d'autre qu'une courge
atteinte d'éléphantiasis. Étrangement, personne n'a encore eu l'idée de l'exposer dans des foires.
- La Coloquinte :la coloquinte est une plante rampante herbacée, signes d'un caractère sournois.Ce légume, entre autres vices, est un laxatif violent:quand le poireau poireaute, le radis radine et la carotte carotte, la coloquinte fait chier. Comment dans ces conditions apprécier ce cucurbitacée, c'est une question qui mérite d'être posée.
- Le panais : le panais, sorte de grosse carotte blanche moyenâgeuse de la famille des Apiacées (et non des opiacées), renâcle à se laisser capturer, et tente de se préserver du prédateur grâce à de piteux subterfuges: ainsi le panais sauvage arbore-t-il des feuilles poilues et une sous-variété urticante afin de conserver cette liberté à laquelle il prétend depuis le Moyen-Age, période durant laquelle il a été cruellement persécuté.
- La Courge Butternut :la courge Butternut, aussi appelée "courge musquée", peut faire office de potiron du pauvre. La courge Butternut gagne en platitude ce qu'elle perd en élégance. Considérée comme une arme de catégorie 6 par la maréchaussée, on dénombre pourtant extrêmement peu de cas de violences aggravées avec une courge Butternut.
Pour égayer les longues soirées d'hiver aux côtés de ces riants végétaux, n'oublions pas la salicorne, l'oseille ou les pissenlits. Bon appétit.