On vous a demandé de nous envoyer les pires dessins que des enfants aient pu vous offrir, et on peut dire qu’on n’a pas été déçus. C’est très moche. Et très beau à la fois. Ces enfants ont tout compris à l’art, c’est vous qui passez à côté de la valeur esthétique et marchande de ces œuvres picturales dignes des plus grands. Et comme on en a pris plein les mirettes, on a décidé de rendre hommage à la fine fleur des artistes de notre temps en exposant les merveilleux cadeaux qu’ils ont daigné offrir au monde, et on a mis nos plus grands experts en art sur le coup pour décoder ce que vous n’avez pas su observer.
NDRL, ce top date d’avant le confinement, mais vous êtes tout à fait invités à nous envoyer de nouveaux dessins afin que l’on fasse grossir ce magnifique catalogue artistique. Nous ne doutons pas que vos enfants continuent de mettre en oeuvre leur art plus que jamais maintenant qu’ils n’ont rien d’autres à foutre.
"MAMAAN"
Quelle puissance. L’ajout d’un troisième « A » dans la dénomination « maman » ne doit surtout pas être considéré comme une faute de l’enfant, il témoigne d’un amour qui surpasse l’affection habituelle d’un fils pour sa mère. Pour le reste, il n’y a qu’à observer avec quelle douceur l’artiste souligne au crayon noir la beauté du regard de sa génitrice. Les lèvres pulpeuses ainsi que la rondeur du ventre viennent compléter le tableau comme un grand merci, merci pour ta fertilité maman, merci de m’avoir mis au monde. C’est émouvant.
"Un flamant rose qui fait un grand écart dans la nuit"
Un simple croissant de lune, deux sapins et le décor est planté. C’est la nuit, dans une forêt que l’on ose imaginer scandinave ou canadienne. Lieu où l’on ne s’attend pas à trouver le-dit flamant rose. Et c’est là toute la force de l’absurdité de ce dessin. Un trait de crayon comme un trait d’esprit qui vient lutter contre une rationalité devenue ennuyeuse, attendue, morne. Un grand écart entre la morosité du monde et la fraîcheur de l’imagination. Du génie.
"La Queue Leu Leu"
Une oeuvre bouleversante qui prouve que le crayon gras a encore de belles années devant lui. Ces formes humanoïdes évoquent clairement une chaîne de solidarité dans laquelle sentir le postérieur de ses partenaires n’a rien d’humiliant. Au contraire, c’est un sentiment de fraternité et de félicité qui se dégage de cette déambulation maladroite. Un pavé dans la mare qui nous rappelle que l’amour de son prochain est une priorité.
"Papa et Maman"
Papa et maman, ou papa et papa ? Nous tenons là une fresque qui dépeint finement les questions sociales et éthiques qui se posent aujourd’hui autour du globe. Doit-on encore parler de genre ? La parentalité doit-elle être hétérosexuelle ? L’artiste prend définitivement parti en représentant côte à côté le stéréotype de la virilité ainsi qu’un individu transgenre et heureux. Le pénis rose à lui seul synthétise cette pensée : fini les clichés, la virilité peut être féminine. Chapeau bas.
"Papa a une belle moustache"
La rondeur, la bonhomie, c’est ce que nous inspire ce portrait qui tire sa puissance de sa simplicité. Peu importe la ressemblance, peu importent les détails, le plus intéressant se situe dans la symbolique des quelques éléments que l’enfant consent à nous offrir. Ce visage rond et ce sourire suggèrent évidemment la gentillesse et l’amour d’un père, alors que cette moustache stricte, qui évoque un dictateur tristement célèbre, témoigne de l’autorité du géniteur qui doit guider son petit peuple sur le droit chemin de la vie. Un tableau qui relègue un De Vinci ou un Rembrandt au second rang.
"Petite sirène"
Disney revisité et perverti avec toute la force de la symbolique phallique. Ici s’exprime le rejet du sexisme ordinaire des dessins animés qu’on impose à l’innocence de l’enfant. Une oeuvre malheureusement dénaturée par le vandalisme d’un adulte qui a tenu à rajouter sa touche : « on en parle ? » Probablement l’acte d’un extrémiste fanatique qui refuse de sortir de ses carcans.
"Une plante très moche"
Preuve, s’il en fallait, que le moche n’est pas l’ennemi du Beau artistique. Nous pouvons représenter la laideur dans tout ce qu’elle offre de bon à qui veut bien l’observer, la décortiquer, l’embrasser. L’on pourra reprocher le recours trop prompt à l’utilisation de la forme pénienne. Néanmoins, la force de la démarche balaie d’un geste cette maladresse que l’on pourra attribuer à la jeunesse d’un artiste qu’il faudra, sans doute aucun, suivre dans les années à venir.
"Les papillons dans la forêt"
Katie et Danielle, deux papillons-vulves qui nous irradient de leur sérénité, survolant une forêt de pénis dressés en direction de leurs deux soleils. Parfois le génie se passe de mots.
"Papa et maman"
Que dire quand toute l’allégorie de l’attribut phallique nous submerge de sens ? Il s’agit là d’une critique de la société de consommation évidente. Le sexe des géniteurs pointe fièrement en direction d’une voiture, comme dans un désir irrationnel d’acheter. Ainsi le véhicule devient l’objet d’une attirance sexuelle qui prend la place de l’autre. Malgré tout, notre artiste reste bienveillant envers ces adultes qui l’ont enfanté et qui ne sont que victimes d’une structure qui les dépasse. Brillant.
"La mère qui porte le poids du monde sur ses épaules"
Nous sommes encore bouche bée devant la magnificence de cette réalisation bichromique qui transpire des émotions qu’un Munch n’aurait pas reniées. Cette procréatrice présente les signes évidents d’une usure précoce face à la violence de la vie. Les cernes, la coiffure négligée ainsi que la rugosité de ses doigts en témoignent. Mais, envers et contre tout, cette mère tend les bras vers son enfant qui saisit là l’occasion unique de représenter un instant de vie : la combativité maternelle qui se tourne vers son bien le plus précieux. Comment rester insensible face à la splendeur de cette poésie ?
Merci les enfants pour ces instants de grâce.
Profitez du confinement pour demander à vos enfants de produire des œuvres, ça leur fera une activité pour enfant très utile entre deux devoirs à la maison.