On connaît Pétain, Laval, Céline, Bousquet et Joanovici. On connaît le Docteur Petiot. Mais c’est bien mal connaître la France de la collaboration dans son entièreté. Parce que des collabos, la France en a compté des pelletées plus ou moins dégueulasses, plus ou moins impliquées mais dont les parcours ont le mérite de dessiner une histoire nationale aussi passionnante que sombre. Des types qui ont fait de bons collabos, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
Georges Albertini, l'homme de l'ombre
Venu du socialisme anticommuniste et favorable à une politique de rapprochement, notamment industriel, entre la France et l’Allemagne, Georges Albertini bascule après la débâcle en devenant le secrétaire administratif du Rassemblement national populaire. Favorable à la collaboration, notamment pour éviter la contagion communiste, il se révèle également antisémite et signe de nombreux éditoriaux où il dénonce le communisme comme étant une entreprise juive. Mais Albertini est surtout un homme de l’ombre qui fréquente tous les bords et connaît les secrets de toutes les grandes figures de l’Occupation, secrets qu’il consigne dans des petits carnets. Son réseau d’influence lui permet de sauver sa tête à la Libération. Incarcéré à peine trois ans malgré un activisme réel dans le recrutement de plantons pour combattre la résistance, il se lie d’amitié avec le banquier Hippolyte Worms qui le recrutera et lui permettra de pénétrer les milieux d’affaires. Albertini devient alors le chantre d’une ligne atlantiste tout en conservant des amitiés auprès de ses anciens camarades de la SFIO. C’est d’ailleurs Vincent Auriol qui le charge d’accompagner la création de FO, branche dissidente de la CGT financée par les Américains. Figure éminente de la Cinquième république, Albertini devient même un conseiller spécial auprès de Pompidou tout en continuant, en sous-main, à oeuvrer pour contrer l’influence communiste en France. Un Kissinger à la française.
Michel Szkolnikoff, l'escroc
Szkolnikoff naît en Russie avant de s’exiler vers l’Europe de l’Ouest en tant que Juif apatride. Il arrive en France dans les années 30 et se lance dans le commerce de tissu pour l’armée avec son frère. Il n’a pas un rond et vit de rapine et de petites et moyennes escroqueries. A tel point que la DST finit par dépêcher auprès de lui un agent chargé de le surveiller, agent qui ne tarde pas à devenir l’associé de Szkolnikoff. Quand les Allemands occupent Paris, Szkolnikoff saisit la balle au bond : il devient rapidement le fournisseur officiel de textile de l’armée allemande, puis de la SS, et ce malgré sa religion. Comme les Occupants se servent dans les caisses française, il est directement (et grassement) payé par les Français eux-mêmes. Peu à peu, ses affaires se diversifient et Szkolnikoff se lance dans le marché noir dont il devient un acteur incontournable et même la pierre angulaire. Il se lance dans l’immobilier et investit dans des hôtels, mène grand train et dîne régulièrement avec les hauts dignitaires nazis en France. Et jusqu’à devenir, selon certaines sources, l’homme le plus riche de France. Sentant le vent tourner, Szkolnikoff commence à planquer une partie de sa fortune en Espagne. Il y prend la fuite à la Libération mais est arrêté par la police espagnole qui l’expulse du territoire. Ensuite, le flou : certains pensent que Szkolnikoff a été tué par un groupe paramilitaire chargé de traqué les collaborateurs éminents, d’autres estiment qu’il a probablement réussi à prendre la fuite en Amérique du Sud. Le gouvernement provisoire, à la Libération, réussira à récupérer une partie des avoirs de Szkolnikoff pour renflouer les finances du pays, mais pas tout.
José Giovanni, le salaud
Issu d’une famille bourgeoise puis ruinée, Joseph Damiani (son vrai nom) rejoint le PPF à Marseille, puis la milice, avant de se rapprocher de la Gestapo française de la rue Lauriston. Avec ses nouveaux amis, Damiani se livre à des actes de barbarie dans la France de la Libération : il séquestre et assassine un représentant en vin juif pour lui extorquer la combinaison de son coffre-fort et participe à l’assassinat des frères Peugeot avec son frère, toujours pour des motifs crapuleux. Condamné à mort, il est gracié par René Coty et voit sa peine commuée en travaux forcée. Il sort de prison au mitan des années 50. En prison, il a signé un premier roman sous le nom de Giovanni, Le Trou, qui attire l’attention de Roger Nimier, lequel le fait publier. Le roman est adapté par Jacques Becker et, rapidement, Giovanni se rapproche du milieu du cinéma. Il devient scénariste, puis réalisateur populaire. Militant anti-peine de mort, il mène une vie de patachon jusqu’en 1993, date à laquelle son passé resurgit. Giovanni terminera sa vie en Suisse.
Rudy de Mérode, l'espion
Comme on peut l’imaginer, Rudy de Mérode est un pseudonyme, le pseudonyme de Frédéric Martin, un ingénieur français recruté par l’Abwehr en 1928 et devenu espion français à la solde des Allemands. Associé à la construction de la ligne Maginot, il en communique les plans aux Allemands et finit par être démasqué en 1935. Mais la débâcle de 1940 précipite sa libération. Il devient alors une des pierres angulaires du renseignement allemand à Paris et s’occupe notamment de la spoliation des biens juifs qu’il organise et industrialise en multipliant les planques. Le réseau de Frédéric Martin est responsable de la déportation d’environ 500 personnes et du détournement de sommes considérables. En 1944, sentant le vent tourner, Frédéric Martin fuit en Espagne franquiste où la justice ne parvient pas à le rattraper. Il change de nom pour brouiller les pistes. Mérode est condamné à mort par contumace mais meurt de sa belle mort en 1970, plein aux as.
Alexandre Villaplane, le footballeur
Né à Alger, Villaplane devient footballeur international français dans les années 20 et signe à l’OGC Nice. Mais une affaire de paris truqués le conduit en prison. A sa sortie, il profite de l’Occupation pour se livrer à divers trafics et rackets et participe activement à la spoliation des biens juifs. C’est dans cette ambiance sympa qu’il rencontre Henri Lafont et Pierre Bonny, les piliers de la Gestapo française. Avec eux, il organise des rackets à grande échelle, surtout auprès des marchands d’or. Mais il a la stupidité d’essayer d’arnaquer les Allemands et ça commence à sentir le roussi : Villaplane fuit à Toulouse où il se fait choper par les nazis. Libéré grâce à l’intervention de son pote Henri Lafont, il rejoint la SS et là c’est l’horreur : pillages en tout genre sous couvert de lutte contre la résistance et surtout le massacre de Mussidan au cours duquel Villaplane tue 10 personnes dont un gosse. Naturalisé allemand, il est condamné à mort à la Libération et fusillé en décembre 1944 en même temps que Bonny et Lafont.
George Montandon, le médecin
Médecin et anthropologue suisse, Montandon est l’un des grands théoriciens du racisme. D’abord tenté par le communisme dans les années 20, il est déçu par le Front populaire dans les années 30 et devient peu à peu antisémite. Influent auprès de Céline, il dirige une collection chez Denoël sobrement intitulée « Les Juifs en France » et qui regroupe divers écrits antisémites signés d’auteurs antisémites, dont Céline ou Drumont. Il est d’ailleurs l’un des instigateurs de la célèbre exposition « Le Juif et la France ». Devenu président de la commission ethnique du PPF, collabo, il est chargé par le pouvoir de réaliser des visites raciales afin de déterminer si des individus sont juifs ou non. Une règle, des observations et hop ! Montandon délivre des certificats d’appartenance à la race juive qui sont synonymes de déportation. Montandon sera finalement assassiné par la Résistance en 1944.
René Bonnefoy, l'organisateur
Les premières années de René Bonnefoy sont méconnues, mais il semblerait qu’il ait occupé des fonctions ministérielles sous Pétain. Les historiens s’accordent à dire qu’il était le Secrétaire général à l’information, chargé donc d’organiser la propagande vichyste. Bonnefoy remplace d’ailleurs l’équipe de Je suis partout à la tête de Radio Vichy en 1940. Il oeuvre aussi à virer les enseignants juifs des universités. Il est aussi l’instigateur de la chaire d’histoire du judaïsme, forcément orientée, à la Sorbonne. Mais à la Libération, il réussit à changer de nom et à passer entre les gouttes, malgré sa condamnation à mort par contumace. Dès lors, il prend les pseudonymes de Roger Blondel et de B.R. Bruss, sous lesquels il signe de nombreux ouvrages de science fiction qui deviennent des classiques. Bonnefoy a pignon sur rue et se retrouve même interviewé chez Pivot. Il meurt en 1980, sans avoir été rattrapé par son passé.
Titaÿna, la reporter
Élisabeth Sauvy était grand reporter dans les années 20 et une figure incontournable du tout Paris. Installée dans le Sud en 1941, elle décide d’appuyer la collaboration et commence à publier des articles antisémites dans la presse collaborationniste de l’époque, et notamment La France au travail. Jugée à la Libération, elle est déchue de sa nationalité et voit tous ses biens confisqués. Elle s’envole alors vers San Francisco où elle vivra jusqu’à sa mort en 1966.
Maurice-Yvan Sicard, le journaliste
A la fin des années 20, Maurice-Yvan Sicard écrit dans de nombreux journaux de gauche, en dirige d’autres, et fonde lui-même le Huron, un autre journal de gauche. Ce dernier est en effet un brûlot anti-bourgeois aux idées profondément pacifistes. C’est ce pacifisme qui le rapproche de Doriot et le conduit à adhérer au PPF en 1936. D’abord hermétique aux thèses antisémites, il finit par s’en rapprocher en associant les velléités belliqueuses de l’Europe à une influence des Juifs. Il collabore avec Doriot pendant toute l’Occupation et fuit vers l’Espagne en 1946 pour éviter sa condamnation à mort. Il décide alors de choisir le pseudonyme de Saint-Paulien pour entamer une carrière littéraire. Il consacre notamment un ouvrage entier aux SS français. Dans les années 50, il fait le choix de se livrer à la justice française et bénéficie d’une amnistie.
Violette Morris, l'athlète
Lanceuse de poids et de disque, Violette Morris est un fleuron de l’athlétisme français, mais elle fait également partie de l’équipe nationale féminine de football ou de water-polo. Polyvalente, elle mène ainsi une carrière sportive jusqu’au milieu des années 30, époque à laquelle elle ouvre une carrosserie porte de Champerret. Amie de Cocteau ou de Joséphine Baker, elle est aussi ouvertement homosexuelle et se présente donc comme une libérale à tout point de vue. Mais lors des JO de 1936, Violette Morris est approchée par des recruteurs allemands qui lui proposent de leur fournir des renseignements. Pendant l’Occupation, elle espionne au profit de la SS puis est dépêchée auprès de la rue Lauriston où elle exerce des actes de torture sur les individus suspectés de résistance. Violette Morris est assassinée par un maquis en 1944, probablement à la demande de l’Intelligence Service.
Des bons vivants, quoi.