Vous voulez un scoop qui n’en est pas un ? Depuis des siècles, la place des femmes est totalement écrasée par celle des hommes, dans presque tous les domaines de la vie (sauf pour le ménage, la maternité et la bouffe, en gros). Évidemment, le milieu de la science, dans lequel on parle d’une femme médecin comme d’UN docteur, ne fait pas exception. Loin de là. L’effet Matilda en est l’illustration même.
Qu'est-ce que c'est ?
Selon la définition du Larousse, l’effet Matilda désigne le « Phénomène consistant à minimiser, voire à nier, la contribution des femmes à la recherche scientifique, au profit d’une postérité essentiellement masculine. ». Le patriarcat dans le monde des sciences et de la recherche. Le nombre de fois où les hommes s’attribuent le travail intellectuel des femmes.
On parle d'abord de "l'effet Matthieu"
A la fin des années 1960, le sociologue américain Robert Merton développe cette théorie selon laquelle la renommée d’une découverte est souvent attribuée à une seule personne, mettant ainsi sur la touche tous les collaborateurs. Il choisit le nom de « Matthieu » en référence à l’évangile, Matthieu prononçant la phrase « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a ».
... Puis de l'effet Matilda
Plusieurs années plus tard, dans les années 1980, l’historienne des sciences Margaret W. Rossiter, reprend la thèse en y ajoutant une dimension féministe : le phénomène semble décuplé quand il s’intéresse aux femmes scientifiques. Si l’effet Matthieu touche parfois des binômes d’hommes, il devient quasiment systématique si le binôme est mixte. Évidemment, dans ce cas de figure, le nom effacé et oublié est celui de la femme.
Pourquoi a-t-on choisit le prénom de "Matilda" ?
Non, rien à voir avec une pseudo version féminisée de « Matthieu ». « Matilda » fait référence à Matilda Joslyn Gage, qui fut l’une des premières militantes à dénoncer l’invisibilisation des femmes dans le domaine scientifique. En 1883, elle remarquait déjà que les hommes avaient tendance à s’accaparer la pensée intellectuelle des femmes, et écrivait « Bien que l’éducation scientifique ait été largement refusée aux femmes, certaines des inventions les plus importantes au monde leur sont dues ».
La première victime connue de cet effet est Trotula de Salerne
Pour connaître son histoire, il faut revenir au XIe siècle, cap sur l’Italie. Trotula de Salerne était une femme, médecin et chirurgienne, qui a consacré ses travaux à la santé des femmes et aux soins de leurs maladies. L’un de ses ouvrages devient même une référence en matière de gynécologie. Si ses œuvres étaient bien signées « Trotula de Salerne », son nom a longtemps été attribué à un homme. Imaginer qu’une femme, à l’époque, puisse avoir ce niveau de connaissance et de maîtrise, enseigner la médecine et devenir une référence n’était pas imaginable. Grâce à Margaret Rossiter, Trotula est devenu un symbole féministe, celui du combat pour la reconnaissance de la place accordée aux femmes à travers l’Histoire.
Une des illustrations de l'effet Matilda : le nombre de prix Nobel attribué à tord à des hommes
Lise Meitner, Rosalind Franklin, ou Esther Lederberg (et bien d’autres femmes scientifiques) ont toutes un triste point en commun : elles se sont fait faucher leurs découvertes et leurs prix Nobel. Évidemment, ils ont été attribués injustement à… Des hommes !
D'ailleurs, les chiffres parlent d'eux-même
Entre 1901 et 2021, 888 hommes ont remporté un prix Nobel, contre 58 femmes. Parmi ces 58 décorations, la grande majorité vont aux domaines de la « littérature » et de la « paix ». Il ne faudrait pas non plus qu’on accepte que les femmes soient capables de compter au-delà de 10, non ?
Il n'y a pas eu de prix Nobel pour une équipe 100% féminine avant 2020
Et ce sont les biochimistes Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna qui ont changé l’histoire en obtenant, il y a 3 ans, le prix Nobel de chimie pour la mise au point du système universel d’édition du génome Crispr-Cas9. Depuis 1901, elles sont respectivement les sixième et septième femmes à remporter un Nobel de chimie. Mathématiquement, ça fait environ une femme décorée de ce prix tous les 17 ans. C’est pas énorme.
La place des femmes a été plus que limitée dans les études scientifiques pendant des décennies
Quand on sait qu’il a déjà fallu attendre le milieu des années 1920 pour que les femmes aient le droit de passer leur baccalauréat, il n’est pas étonnant (bien que frustrant et malheureux) d’apprendre qu’il a fallu attendre encore plus longtemps pour qu’elles puissent accéder aux enseignements scientifiques. D’ailleurs, cette inégalité persiste : aujourd’hui encore, les hommes sont sureprésentés par rapport aux femmes dans les filières scientifiques.
Un phénomène qui fait écho à un autre
Il existe un autre phénomène relatif aux inégalités femmes-hommes dans le domaine des sciences : c’est l’effet de harem. Il désigne le fait qu’un « homme scientifique, en position de pouvoir, s’entoure majoritairement dans son groupe de recherche de femmes occupant des positions subordonnées. ». En gros, elles font le taff dans l’ombre, il récolte la gloire. Pendant longtemps, elles n’ont pas eu le droit non plus d’utiliser certains éléments comme les télescopes. Certains laboratoires n’étaient pas ouverts aux femmes au XXe siècle.
L'effet Matilda a encore des répercussions aujourd'hui
A part Marie Curie, qui connaissait vous comme femmes scientifiques qui ont marqué l’histoire ? Personne ? C’est triste, mais ce n’est pas de votre faute. En disparaissant de l’histoire au profit de leurs homologues masculins, des femmes comme Rosalind Franklin, Ada Lovelace ou Lise Meitner ont aussi disparu des livres d’histoire, et de la mémoire. Il n’est pas trop tard pour leur rendre le respect qu’elles méritent : parlons d’elles, ajoutons leurs noms dans les prochains manuels, et donnons aux petites filles de demain la preuve que oui, elles peuvent devenir des scientifiques qui révolutionnent le monde.
Parmi les inventions et découvertes qu'on doit à des femmes, mais qu'on a longtemps attribuées à des hommes, on retrouve...
La fission nucléaire, le Monopoly, le sac en papier, la scie circulaire, la structure de l’ADN,… Et bien d’autres. Beaucoup d’autres.
Y’a encore du taff. Malheureusement.
Sources : France culture, ada tech school